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Quand les streameuses dénoncent le cyberharcèlement

L'envers du décor est sombre pour les streameuses.
L'envers du décor est sombre pour les streameuses.sources: Twitter et Twitch

«J'ai un plan pour te violer»: bienvenue dans l'enfer des streameuses

Montages photos à caractère pornographique, dickpics à gogo, menaces de viol et dépression: c'est ce que vivent de trop nombreuses streameuses sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Twitch. Devant un harcèlement chronique et quotidien, quelques-unes ont décidé d'exposer l'envers du décor, captures d'écran et sinistres enregistrements à l'appui.
28.10.2022, 19:0029.10.2022, 11:59
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«Je suis fatiguée et il est temps que je vous explique». Voilà comment débute le thread explosif de la streameuse Maghla, alias Maghlarnaque, sur Twitter. Elle est l'une des Françaises les plus connues sur la plateforme Twitch, sur laquelle elle partage à ses quelque 693 000 abonnés du contenu lié à des jeux vidéo, avec un petit faible pour les jeux d'horreur. Mais désormais, la Française est à bout, et elle a décidé de le faire savoir.

Maghla sur Twitter: «Des années que je streame et j’ouvre ma gueule sur 10% max du problème, parce qu’apparemment faut ignorer pour que ça passe».
Maghla sur Twitter: «Des années que je streame et j’ouvre ma gueule sur 10% max du problème, parce qu’apparemment faut ignorer pour que ça passe».image: capture d'écran

Le service de streaming vidéo appartenant à Amazon est certes convivial pour beaucoup de créateurs, mais pour bon nombre de jeunes femmes, l'envers du décor fait moins rêver. La cause? Le cyberharcèlement, que la jeune femme et nombre de ses collègues subissent au quotidien.

Quand peut-on parler de cyberharcèlement?
«Cyberbullying» en anglais. Selon Le petit Robert, il s'agit d'un harcèlement pratiqué par voie électronique, notamment sur les réseaux sociaux.
Selon les Fonds des nations unies pour l'enfance (Unicef), ces messages peuvent contenir des menaces, des insultes ou du chantage. Si la personne harcelée ne fait pas ce qu’on lui demande (une rencontre, de l’argent ou des informations personnelles), elle peut subir des violences ou des humiliations dans la vie réelle et voir des rumeurs se propager sur elle.

Le phénomène, malheureusement, n'est pas nouveau. Depuis quelque temps déjà, plusieurs streameuses renommées ont tenté d'attirer l'attention sur les comportements d'une lourdeur affolante auxquels elles font face, et qu'elles doivent gérer toutes seules. Ces derniers comprennent des sollicitations scabreuses, un flux continu de remarques sexistes et misogynes, mais également des menaces de viol ou d'actes menaçant leur intégrité physique.

La goutte en trop

Maghla, de son côté, a réagi le 24 octobre, alors qu'un internaute a posté un énième clip au montage tendancieux à la fin de l'un de ses lives. «Décolleté seins luisants MIAM», lit-on sur une capture d'écran où l'on voit la jeune femme en débardeur.

«Il est temps qu'un ban Twitch empêche de visionner le live, et pas juste l'accès au chat», réagit une internaute en réponse. Mais pour Maghla, c'est la goutte de trop.

L'influenceuse déroule un thread libérateur sur Twitter, listant ses griefs un par un:

  • «Deepfakes» à caractère sexuel (montages rendus crédibles grâce à l'aide de l'intelligence artificielle) dans lesquels sa tête est accolée au corps d'une actrice porno. Laborieux à élaborer à ses débuts, le «deepfake» est malheureusement devenu de plus en plus répandu et accessible sur internet.
Les utilisateurs ont parfois recours à l'intelligence artificielle.
Les utilisateurs ont parfois recours à l'intelligence artificielle. source: twitter @maghla
  • Des internautes ont des échanges déplacés à son sujet sur les forums:

    «Des forums entiers avec des screens de live, des clips sur les sites p*rn, des mecs qui débattent sur ce qu’ils veulent me faire (...)»
  • Certains ont créé des Discords (plateforme de discussion) entièrement dédiés à l'échange de faux nudes (photos nues) de streameuses.
  • Des personnes se font passer pour elle en envoyant des messages privés à caractère sexuel.
  • Sexting imposé, soit la réception non consentie de photos exposant les parties intimes:

    «Bon bah ça vous connaissez, dickpics à gogo, messages personnels sales en mode je te viole, je te baise, etc. Egalement des gens qui t’envoient leurs "œuvres" ou te disent ce qu’ils font dessus»
  • Maghla dit avoir peur de s'habiller comme elle le souhaiterait, ou de montrer ne serait-ce qu'un peu de peau en direct:

    «La flemme d'avoir des remarques», se désole-t-elle. «Je mets une fois un décolleté, je me prends ce genre de détraqués, je suis épuisée. J’ai tout sauf envie que des gens viennent parce que je les excite sur mes lives.»
  • Elle fait face à un déferlement de commentaires violents ou à connotation sexuelle, lesquels contaminent différents réseaux sociaux:

    «Y a des centaines de pages de gens qui se branlent sur mes photos et les postent. Littéralement. Egalement des montages encore et encore et les commentaires peuvent aller du "je la viole" à "je vais la pénétrer cette chienne" etc.. le forum est alimenté tous les jours.»
Capture d'écran d'un commentaire, postée par Maghla sur Twitter
Capture d'écran d'un commentaire, postée par Maghla sur Twitter
  • Du contenu de sa chaîne où certaines photos d'elle sont rendues accessibles depuis des sites pornographiques
  • Elle fait l'objet de jeux de rôle et scénarios érotiques que les internautes alimentent sur la Toile.
Extrait posté sur Twitter par la jeune femme. Les streameuses doivent gérer seules un flot continu de photomontages et commentaires de ce genre les ciblant.
Extrait posté sur Twitter par la jeune femme. Les streameuses doivent gérer seules un flot continu de photomontages et commentaires de ce genre les ciblant. Source: twitter @@Maghla
«Ce que je vis, toutes les streameuses le vivent et on ferme notre gueule H24»
Maghla

La jeune femme a reçu un soutien massif de sa communauté, et également de la part de créateurs influents.

«J'ai envie de te voir souffrir, ça me fait bander»

Ce mois-ci toujours, la vidéaste française Stacy, Shironamie sur les réseaux, a rapporté avoir vécu une aventure encore plus alarmante: un homme qui suit régulièrement sa chaîne Twitch s'est fait passer pour un livreur, afin de connaître son adresse. Il a, en outre, trouvé le moyen de la contacter directement par téléphone. La scène, plus que glauque, est capturée en live par la streameuse.

Shironamie (Stacy de son vrai nom), a exposé, en direct, un sinistre interlocuteur. Menaces de viol et intimidations, le coup de fil fait froid dans le dos.
Shironamie (Stacy de son vrai nom), a exposé, en direct, un sinistre interlocuteur. Menaces de viol et intimidations, le coup de fil fait froid dans le dos. Source: instagram @shironamie

«Moi, je suis un malade mental», ne cesse de répéter la sinistre voix. En colère, mais désireuse d'exposer les faits publiquement, Stacy le relance: «et quoi d'autre?». Et lui de répondre:

«Ça m'excite quand t'es inquiète comme ça là. En fait, j'ai envie de te voir souffrir, ça me fait bander (...) c'est la seule chose que je fais de mes journées. Ça fait plusieurs semaines que je suis en train de préparer mon coup et dans quelques semaines, j'aurai mon plan pour te violer. Je connaîtrai le rythme auquel tu sors de chez toi, je saurai quand tu prends ta douche. Je rentrerai aussi chez toi, et j'observerai ce que tu fais. Je me masturberai devant toi s'il le faut, mais tu m'attraperas pas.»

La jeune femme explique à ses viewers qu'elle compte monter un dossier contre son harceleur. «Je crois que j'ai des collègues streameuses qui vivent la même chose», mentionne-t-elle encore dans un souffle.

Malheureusement pour son persécuteur, son numéro aurait été révélé lors de l'appel. Une preuve fournie de façon involontaire, mais qui pourrait lui coûter très cher.

Le jeune homme l'a suppliée de ne pas le dénoncer, avant d'embrayer brutalement sur du chantage: «Si tu portes plainte chez les flics, je te viole».

La santé mentale en jeu

Certaines créatrices tentent régulièrement de tirer la sonnette d'alarme: le cyberharcèlement n'a rien d'un jeu. Il porte atteinte au bien-être et à la santé mentale. Stress, abattement, et atteinte à la réputation ne sont pas des facteurs à prendre à la légère. L'estime de soi peut également en être gravement écornée.

Charlie Danger, qui anime une émission de vulgarisation scientifique sur YouTube nommée Les revues du monde, et suivie par 935 000 âmes, a tenté d'aborder la question sur Twitter, avant d'effacer sa publication. Elle y révélait pourtant avoir tenté de mettre fin à ses jours.

«Je suis silencieuse et absente depuis cinq mois. Pas de vidéo, rien. Je vais dire pourquoi alors que je n’avais jamais prévu de le faire, mais c’est trop important. J’ai sauté d’un pont il y a deux mois.»

Elle explique dans ce post supprimé depuis que ses harceleurs ont trouvé son adresse, l'ont menacée de viol et de mort.

«On commente mon physique (…) alors que je n’ai rien demandé. On se moque du fait que j’ai déjà subi des agressions sexuelles. On ressort la seule erreur que j’ai pu faire en huit ans de vulgarisation scientifique comme la preuve que je serais une grosse conne dont tout le travail est à jeter (...).»
Propos relayés par le site yahoo.com

A la mi-octobre (décidément), Amouranth (Kaitlyn Siragusa de son vrai nom), l'une des streameuses star de Twitch, a fait des révélations choc sur le chantage qu'elle subissait de la part de son mari, dans le secret des coulisses. 👇

Le Droit limité sur la toile

La justice ne pourrait-elle pas mieux réguler la sphère digitale? La réponse semble plus compliquée qu'il n'y paraît. Si les cas de cyberharcèlement sont en hausse et régulièrement documentés, les solutions pour sanctionner les dérapages sur le web restent lacunaires. L'anonymat que permet la Toile bénéficie aux trublions virtuels, et décuple leur capacité de nuisances. Si les types de harcèlement varient, garçons et filles sont concernés par cette plaie numérique, et en particulier les plus jeunes. En Suisse, selon une étude conduite par la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) en 2020, un quart des jeunes interrogés ont déjà été victimes de cyberharcèlement. Un bon nombre d'entre eux avait entre 12 et 13 ans.

Les streameuses, très exposées, sont une cible privilégiée. Pour celles qui décident de s'en ouvrir au public, il n'est pas facile de faire entendre leurs voix dans un univers encore peu réglementé et majoritairement masculin. Enfin, bannir un utilisateur n'exclut ni son retour sous d'autres identités ni la restriction de ses comportements néfastes sur d'autres forums, ou dans la vraie vie.

Une streameuse bannie de Twitch après un live osé
Video: watson
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