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Pourquoi sommes-nous comme Jimmy Kimmel des toxicos du scandale

Pourquoi sommes-nous comme Jimmy Fallon des toxicos du scandale
Le célèbre animateur de late-show Jimmy Kimmel s'est montré particulièrement nostalgique de la fameuse gifle de l'année précédente.shutterstock/watson
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Pourquoi nous sommes devenus des toxicos du rebondissement

A moitié pour rire, Jimmy Kimmel, maître de cérémonie des Oscars, a confié en direct que «les gifles nous manquent un peu», faisant référence au geste à haute résonance médiatique de Will Smith. Quelques jours plus tôt, le «Guide Michelin» mettait, lui, une bruyante branlée au meilleur cuistot du monde en lui ôtant une étoile. Jusqu'où faudra-t-il aller pour se faire entendre?
14.03.2023, 18:3815.03.2023, 10:29
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Encore récemment, il suffisait de faire chanter Beyoncé à la mi-temps du Super Bowl pour créer l'événement, faire tourner les rotatives et chauffer les algorithmes. Aujourd'hui, chanter ou impressionner ne suffit plus. Il y a un mois, Rihanna a tellement détourné l'attention en dévoilant son heureux petit bidon sur le terrain, qu'il a fallu une bonne journée aux observateurs pour réaliser que sa prestation musicale ne cassait pas forcément des briques.

Plus sophistiqué qu'un simple buzz, la chanteuse a «cassé le cours ordinaire d'une manifestation majeure», nous dira au bout du fil un expert français en communication de crise. Au cinéma, on appelle ça un twist, un rebondissement. Des techniques de cinéaste qui ont investi les terres du réel, de la politique aux manifestations iconiques, non sans une brutalité qui tend à devenir la norme.

L'inverse peut d'ailleurs surprendre. Dimanche, Jimmy Kimmel paraissait complètement paumé dans un océan de quiétude, sur la scène des Oscars. En cause, une cérémonie sans accro. Sans polémique à laquelle accrocher ses vannes, le célèbre animateur de late-show s'est montré particulièrement nostalgique de la fameuse gifle de l'année précédente.

«Les gifles nous manquent un peu»
Jimmy Kimmel, durant son monologue aux Oscars.

Craignant que l'audience s'ennuie ferme, l'humoriste américain fera ainsi cinq références à la main lourde de Will Smith. Comme un fumeur sans paquet de clopes qui exhumerait de vieux mégots pour s'envoyer un shoot de nicotine. Huit minutes sur les quinze qu'a duré son monologue. C'est beaucoup. Surtout pour causer de ce qui, concrètement, ne surviendra pas.

«Déso, y a pas de scandale cette année.»
«Déso, y a pas de scandale cette année.»

Jimmy Kimmel n'a peut-être pas tort. A l'affût du moindre embryon de scandale durant cette 95e cérémonie d'auto-célébration du cinéma américain, on a tous failli passer à côté de la prestation bêtement époustouflante de Lady Gaga. Aucune déclaration fracassante, encore moins de robe en chair animale version MTV Video Music Awards 2010. Juste une voix et un jean troué au niveau des genoux. Certains internautes, comme une énième preuve du vide sismique, se sont exagérément réjouis de l'absence de maquillage de l'interprète de la BO de Top Gun: Maverick.

Maigre butin.

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Certes, les organisateurs ont sans doute poussé un ouf de soulagement, après une édition 2022 tourmentée. Mais du côté du public, il a bien fallu se rabattre sur des «scandales» purement artistiques, si l'on voulait fomenter des tweets un peu plus musclés et tenter de créer des clashs.

«Pour la maintenir éveillée, une audience est nourrie par de courtes séquences médiatiques extrêmement clivantes. Seule la dopamine compte. On n'est plus vraiment habitué au long calme plat», analyse Florian Silnicki, fondateur de l'agence parisienne LaFrenchCom, spécialisée dans la communication de crise.

«Très triste, très euphorique, très offensé, très en colère, peu importe: nous nous devons aujourd'hui d'être exagérément quelque chose»
Florian Silnicki

Sidération médiatique

Quelques jours plus tôt, une autre institution en mal d'audience dégainait le mégaphone. Les cruelles papilles du Guide Michelin distribuaient leurs bons et (surtout) mauvais points. Un rituel historique: toutes les toques prestigieuses se figent face au «marketing de la terreur», comme le décrit Le Figaro.

Le trafic des étoiles fait chaque année plusieurs éminentes victimes, mais cette autocratie du mérite gastronomique en a plus que jamais besoin. Sans la moindre effusion de sang, le «Guide rouge» sombrerait sans doute dans une indifférence ordinaire. «La réaction du chef Guy Savoy qui perd une étoile, comme la claque de Will Smith aux Oscars viennent briser la chronologie ordinaire d'un événement. A chaque fois, tout le monde profite de ces moments forts pour se repositionner et conquérir un peu d'attention», argumente notre grand spécialiste français de la communication de crise.

«En sacrifiant brutalement une grande table, Michelin tente de réaffirmer sa légitimité en tapant sur la table»
Florian Silnicki, fondateur de l'agence parisienne LaFrenchCom, spécialisée dans la communication de crise.
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Guy Savoy a réagi avec élégance à son étoile en moins: «A 70 ans, on peut s'attendre à des nouvelles plus terribles»

Une légitimité remise en cause, cette année encore, par plusieurs voix qui comptent derrière les fourneaux. Pour Marc Veyrat, qui a subi le même sort en 2019, «Michelin n’a plus aucune crédibilité. Il faut bien qu’ils fassent le buzz, parce qu’ils ne vendent plus de guide! Qui achète le guide aujourd’hui? Plus personne!» Face aux influenceurs food et aux algorithmes sans babine, le Guide a manifestement vieilli. L'épicurien moyen n'a plus forcément besoin que Bibendum le prenne par la main pour slalomer entre les adresses prestigieuses.

En fusillant quelques grands cuistots une semaine avant la sortie du fameux «Guide rouge», Gwendal Poullennec, son directeur, a découpé sa promotion en plusieurs violents twists.

«Il n'est plus question d'un simple buzz. Aujourd'hui, il faut susciter un état de sidération»
Florian Silnicki

Pour rappel, la sidération est un «anéantissement soudain des fonctions vitales, avec état de mort apparente, sous l'effet d'un violent choc émotionnel.» Serions-nous devenus des lapins constamment pris dans les phares? Des toxicos du rebondissement continuel? «Sans aucun doute. La communication dite traditionnelle appartient au monde d'avant et le dialogue a quasiment disparu. Qu'importe le domaine, tout le monde est dans son petit couloir à hurler en boucle sa propre opinion. Il faut marquer les esprits avant de les faire réfléchir.»

«Mais l'objectif sera toujours le même: économique ou électoral»

Ne plus laisser le moindre répit à son audience? Evidemment, on pense aux députés de l'Assemblée nationale française qui, sans cesse, canardent l'opinion publique de twists et rivalisent d'ingéniosité pour mettre la chose politique en scène. «Les élus sont l'exemple parfait de ces décideurs qui se sont retrouvés prisonniers des séquences médiatiques. Certains, comme les plus jeunes députés de la Nupes, ont compris comment ça fonctionne et en usent. Avec le risque de la caricature et de la désacralisation de la fonction.»

Reste que, malgré sa soif de rebondissements, le consommateur de contenu(s) n'est pas à l'abri de la saturation. Notre communicateur de crise nous assure que les «Français, face au flot de clashs et de crises, sont épuisés émotionnellement».

Pour l'heure, seules les crises ne connaissent la crise. Et Florian Silnicki en sait quelque chose, puisque les polémiques remplissent professionnellement son frigo. Après avoir conseillé plusieurs personnalités politiques, il s'est mué en nettoyeur avec son agence LaFrenchCom. Et ses clients sont prestigieux: de Cyril Hanouna aux industriels français qui se prennent les pieds dans une tempête médiatique.

«Ça peut paraître contradictoire, mais lorsqu'on se retrouve dans une tornade de bruit et de fureur, on ne peut plus se mettre en boule en attendant des jours meilleurs. Il faut parler plus fort et le plus vite possible.»

Cette course à la sidération atteindra le bout de la piste. Comme l'écrivait Christophe Passer dans Le Matin Dimanche, au sujet de la guerre dramatique des étoiles Michelin: «Remarquez ainsi l’évolution de la séquence, en vingt ans, qui passe du suicide à la colère et, désormais, à la repartie pressée à froid de Guy Savoy.» En d’autres termes, on s'habitue à tout. Un jour, nous n'aurons certainement plus besoin d'une gifle aux Oscars ou d'un mégaphone contre le tympan pour éviter de nous endormir sur notre écran.

Mais qui tient le bouton de volume? Pour Florian Silnicki, «c'est toujours le public. Plus que jamais, l'audience a les pleins pouvoirs».

«C'est toujours le public. Plus que jamais, l'audience a les pleins pouvoirs»
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