Cet article a été initialement écrit en août 2023, nous avons décidé de le republier à l'occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
«Je sais de quoi il est capable. Je pense que je vais continuer à avoir peur de lui toute ma vie». Pauline* a 30 ans. Depuis quelques années, elle vit une situation de «harcèlement constant» de la part de son ex-copain. Stalking, menaces, espionnage, violence verbale, psychologique et physique: la jeune romande a dû affronter un véritable calvaire, qui perdure encore aujourd'hui.
Pourtant, au début, rien ne laissait présager la tournure que les événements allaient bientôt prendre. «Je l'ai rencontré il y a très longtemps, c'est quelqu'un que je connais de vue depuis une dizaine d'années», raconte-t-elle aujourd'hui. Ils commencent à sortir ensemble pendant le printemps 2018 et, au début, tout se passe bien. «On faisait beaucoup d'activités culturelles ensemble. C'était une relation assez légère, sans des réflexions particulières sur l'avenir.»
Et puis les choses commencent à mal tourner. Petit à petit, progressivement. «Au bout d'un moment, j'ai réalisé que je n'avais plus aucun contrôle sur ma vie, plus aucun temps libre, et toujours cette sensation que je faisais le mauvais choix.» Dans un premier temps, la jeune femme pense en être la responsable.
Cette prise de conscience progressive s'explique par le fait qu'il était «extrêmement malin». «Il ne m'a jamais dit que je n'avais pas le droit de sortir, ou qu'il ne voulait pas que je voie mes amis», raconte Pauline. «Il recourait à des techniques pour que je rentre ou pour me faire culpabiliser, mais toujours de manière indirecte.»
Comme cette fois où elle avait prévu de passer quelques jours avec des amis dans une autre ville. A peine arrivée à destination, Pauline reçoit un coup de fil. Il l'appelle déjà, lui disant que sa grand-mère n'allait pas bien. Un mensonge. «Il inventait tout le temps des excuses similaires pour me ramener près de lui», se souvient-elle.
«C'était de la violence psychologique, de la manipulation», affirme-t-elle aujourd'hui. Mais, sur le moment, elle ne s'en rend pas compte. «Il m'a fallu du temps pour le comprendre», raconte la jeune femme. «Je l'ai réalisé quand la situation a empiré.»
Les choses basculent quand elle commence à le confronter: «Je lui disais que je ne me sentais pas libre, que je ne pouvais plus rien faire, que j'avais peur. Je lui demandais de me ficher la paix.» En vain. «Dans un premier temps, il a joué au gentil, et ça a marché un moment», se remémore-t-elle. «Mais ce qu'il a commencé à faire après c'était pire, vraiment pire.» La violence psychologique cède la place à la violence physique.
En plus de cela, il commence à la harceler, à l'espionner. «Il était capable de m'appeler 30 fois de suite, souvent pour me demander des trucs débiles», explique-t-elle. «Il toquait chez moi, rentrait sans me laisser le choix. D'autres fois, il me suivait dans la rue ou il prenait des photos de mon appartement quand j'étais au travail. Il me les envoyait et me disait, "il y a de la lumière, du coup t'es à la maison". Il insistait, il menaçait de défoncer la porte.» C'est ce qui est arrivé à plusieurs reprises, quand elle refusait de le laisser entrer. «Il y a eu des moments où j'ai eu vraiment, vraiment peur.»
Face à cette situation, la jeune femme n'a plus le choix. En août 2021, elle décide de s'en aller. Du jour au lendemain. «J'ai quitté mon travail, j'ai pris un gros sac à dos et je suis partie avec quelqu'un que je connaissais à peine, qui m'a proposé de venir me planquer chez lui pour me mettre en sécurité, loin d'ici.»
L'exil dure un an. «Pendant plusieurs mois, je n'ai pas travaillé, j'ai vécu sur mes économies», se souvient-elle. Les symptômes de stress et de dépression commencent alors à faire surface. «J'étais crevée. Je n'avais aucune énergie, aucun courage, j'étais une espèce de fantôme.»
Quand Pauline commence à aller un peu mieux, elle décide de trouver un travail. «Passer de l'inactivité à un boulot à 100% a fait l'effet d'un électrochoc», se souvient la jeune femme. «Cela m'a fait prendre conscience de l'ampleur des dégâts qu'il m'avait infligés.» Ce changement lui fait comprendre également autre chose: sa ville et ses amis lui manquent. Pendant ces mois, elle a vécu cachée, dans un endroit où elle ne connaît personne. «Je n'ai dit à personne où j'étais. Je pense qu'il n'y a même pas un proche qui est venu me voir.»
Elle décide donc de revenir. Mais cela ne peut pas se faire sans préparation. «La première chose dont j'avais besoin, c'était un logement où je pouvais être en sécurité», développe-t-elle. Elle trouve un appartement situé derrière un immeuble où habite un ami: elle peut se servir de sa porte pour rentrer chez elle en toute discrétion.
Et au début, les choses semblent aller, elle n'a pas l'impression d'être suivie. Jusqu'au mois d'avril de cette année. Après avoir failli le croiser à un festival de cinéma, la jeune femme s'aperçoit qu'il commence à tourner autour de son lieu de travail. Elle et ses collègues le voient traîner dans la rue à plusieurs reprises depuis la fenêtre de la cuisine, comme s'il observait. Cette fois, la conclusion est claire:
En réaction, Pauline met en place une série de mécanismes pour éviter de tomber sur lui: «Ne jamais sortir du travail à la même heure, ne pas prendre tout le temps le même bus, aller le prendre à des endroits différents», énumère-t-elle. «J'évitais également tous les endroits où il avait ses habitudes.»
Ces mesures portent leurs fruits, mais le prix à payer est élevé: «Tout cela me pourrissait la vie», résume-t-elle. «J'évitais les situations potentiellement problématiques, car je me sentais également responsable de l'altercation qu'allait peut-être avoir lieu. Ce faisant, le harcèlement devient constant.»
Les choses empirent encore un mois plus tard, lorsque Pauline se rend à un festival de musique avec son copain actuel. Il y est également, et passe la soirée à la suivre du regard. A un moment, la jeune romande perd son compagnon de vue. Quand elle le retrouve, il est en train de se faire ramener: il vient de se faire tabasser par son harceleur.
Suite à cet épisode, Pauline décide d'alerter la police. Mais elle est épuisée et a besoin d'un peu de temps. «Mon copain a dû se faire opérer et, entre ça et le travail, je n'avais plus aucun temps», affirme-t-elle. «Ça prend une demi-journée d'aller à la police.»
Malgré ces difficultés, elle est décidée à agir. Mais il est plus rapide qu'elle. «Tout à coup, la police m'appelle», raconte-t-elle. «On me dit que je dois venir m'expliquer, que je dois arrêter de l'importuner.» Elle découvre alors avec stupeur qu'il a porté plainte contre elle. Pour calomnie, à cause d'un post Facebook où Pauline a écrit à ses amis de la prévenir s'ils le voyaient près de son lieu de travail.
Elle porte plainte à son tour, mais elle n'a aucun espoir. «Toute cette démarche prend un temps fou, et pour quoi? Ça ne va rien changer. Il aura quoi, une amende», s'interroge-t-elle aujourd'hui avec amertume.
D'autant plus que ce n'est pas la première fois que les forces de l'ordre interviennent dans cette histoire. Il y avait déjà eu des mains courantes, plusieurs démarches et des plaintes automatiques. «Une fois que les choses avaient vraiment dérapé, les voisins ont appelé la police», raconte Pauline. C'était à l'époque des premières violences physiques. «J'avais réussi à le mettre dehors de justesse, après une dispute particulièrement intense», se souvient-elle.
«Je ne vois quel rôle ça peut jouer si tu viens de te faire péter la gueule et que ton appartement est ravagé», s'indigne-t-elle. «En termes d'attitude, ça ne te donne pas envie de les rappeler et de te confier à eux.»
Une première impression qui ne s'est pas vraiment améliorée par la suite. «T'as beau porter plainte, faire tout ce que tu veux, ce n'est vraiment pas une priorité pour la police ou pour la justice», déplore-t-elle. «Quel niveau de gravité faut-il atteindre avant que ce soit le cas? J'ai porté plainte il y a un mois et demi, je n'ai toujours pas de nouvelles.»
Face à l'inaction des autorités, Pauline a décidé d'en parler. Pour montrer que le harcèlement n'est pas que de la violence physique ou verbale: «Ça commence parfois vachement plus tôt. On n'en est pas conscients, souvent parce qu'on n'est pas informés sur ce qu'il est», estime-t-elle.
La jeune femme a également essayé de retrouver un style de vie plus normal. «Je ne fais plus de détours, je ne m'empêche plus d'aller prendre mon train. Si j'ai envie d'aller boire un verre en terrasse, je le fais», indique-t-elle, tout en soulignant qu'elle continue de «faire hyper gaffe, notamment le soir».
Cette manière de voir les choses rend «la peur de la violence un peu moins lourde», affirme Pauline. Elle estime que, suite à sa plainte, la police a probablement dit à son harceleur de se tenir tranquille. Mais elle ne se fait pas d'illusions non plus, elle pense que cette accalmie ne va probablement pas durer.
«Ce que je voudrais, c'est qu'il disparaisse ou qu'il soit renfermé quelque part», conclut-elle. «Pour que je me sente en sécurité, il faudrait qu'il soit renfermé dans une cage et que je sache où il est. Sans ça, il n'y aura jamais un moment où je pourrai vraiment être tranquille avant un sacré moment.»
*Pauline est un prénom d'emprunt