De tout temps, ce qui est défendu par les uns est honni par d'autres. Dans le domaine éducatif, c’est souvent à grands coups de râpe à callosités sociétales que le rapport de force se renverse sans prévenir. C'est le cas de la célèbre injonction «file dans ta chambre!», que le Conseil de l'Europe pourrait bientôt déconseiller... quinze ans après l'avoir conseillée. On le sait parce que Le Figaro s'est frayé un chemin dans un échange de mails tendu, il y a une semaine. Pour certaines associations, «c’est de la folie» et «une sanction psychique inouïe» que d'envoyer son enfant se faire consoler par sa PS5 à huis clos.
Soit.
Quand Mandarine, 11 ans, en rogne contre un tas d'épinards, balance sa fourchette contre la belle affiche de la Collection de l'Art brut de Lausanne (mais surtout de maman), les parents ont plusieurs choix dans leur assiette. Priver Mandarine de dessert, s'excuser d'avoir osé cuisiner des légumes, lui inculquer la joie de l'art brut ou l'envoyer dans sa chambre. Dans le grand bain ambiant de l'abolition totale et définitive de toute verticalité éducative, il semble que seuls un cours de yoga et un smoothie patate puissent être conseillé par le Conseil qui se met à déconseiller au moindre coup de sueur.
Puisqu'il est de bon ton de fourrer son nez dans l'éducation du fils du voisin ou du citoyen européen, allons-y franco. Avant de statuer sur l'utilité (ou non) d'envoyer sa progéniture en chambre, jetons peut-être un petit coup d'œil dans ladite chambre. (Quand il y en a une.)
Car si la piaule de Mandarine est une copie conforme d'une cellule de la prison Владимирский централ à l'est de Moscou, il est probable qu'elle rechigne à y incarcérer sa bile.
Si c'est pour divertir sa colère dans un Disneyland miniature gorgé de joyeux petits cons, en ligne et en réseau, autant planter Mandarine quinze minutes devant le jet d'épinards qui a désormais traversé l'affiche de maman et qui commence à ronger la tapisserie Cole and Son de papa.
Pendant que des élus exhibent des cols roulés en cachemire pour inciter les pauvres à économiser du jus cet hiver, une grande instance européenne s'apprête à «retravailler» cette terrible «injonction à quitter la pièce», en «collaboration active avec l'enfant». En 2022, on ne sait plus très bien s'il faut infantiliser le grand ou responsabiliser le petit.
Comme Mandarine, le bon sens risque de ne plus vouloir revenir une fois calmé. Maigre consolation, si les enfants n'écoutent plus leurs parents, personne n'a jamais sérieusement envisagé d'écouter le Conseil de l'Europe.