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Expérience à Yale: «La définition de la mort pourrait changer»

Samia Hurst (Unige, bioéthique) évoque pour watson la récente expérience de scientifiques de Yale, qui grâce au produit OrganEx, ont réussi à «ressusciter» des cellules d'organes de porcs morts.  ...
shutterstock / dr / watson (montage, obviously)

Ils ressuscitent des organes de porcs: «La définition de la mort pourrait changer»

Samia Hurst, bioéthicienne, évoque pour watson la récente expérience de plusieurs scientifiques de l'université de Yale qui, grâce à un produit novateur, ont réussi à «ressusciter» des cellules d'organes de porcs morts. Cette expérience repousse-t-elle les limites de la Grande faucheuse?
28.08.2022, 08:00
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Pour clore notre série d'été sur la mort, quoi de mieux que de parler de... résurrection?

LA MORT, éternel tabou
Vous venez de cliquer (ouiii!) sur un article de notre série d’été sur la mort (euh…?!). Qu’elle soit racontée avec émotion, tristesse, second degré, humour noir ou sérieux, la mort fascine autant qu’elle effraie. Et plutôt que de faire comme si elle n’existait pas (spoiler alert: on va tous y passer), chez watson, on a décidé de l’aborder pendant le break estival. Pourquoi en été? D'un, pourquoi pas, et de deux, il n’y a jamais de bon moment pour en parler, alors autant le faire sous le soleil!

Et de la «résurrection» très scientifique, qui plus est. Ici, on ne parlera pas de prophète moyen-oriental crucifié et revenu à la vie. Ni de flash-back ésotérique d'existences antérieures dans la jungle alors qu'on méditait sur son balcon. On va parler de la vraie résurrection, celle où des choses biologiques qui sont mortes ne sont ensuite plus mortes.

Yale: expérience inédite.

Car oui, des scientifiques de l'université de Yale ont réussi à faire fonctionner des cellules d'organes de porcs, morts depuis au moins une heure.

Et ce, grâce à un liquide biologique novateur nommé OrganEx, un cocktail concentré composé notamment d'hémoglobine synthétique, de protéines et de médicaments. Celui-ci a permis de faire «revivre» les cellules de différents organes de porc — foie, rein, cœur — quatre heures après que ceux-ci soient morts.

Une expérience qui repousse les limites de la science et de la médecine et qui ouvre des portes qui semblent infinies: s'il est possible de faire revivre les cellules de tous les organes, pourrait-on... combattre la mort?

Revenir à la vie?

Attention, mollo sur les conclusions: pour l'heure, nous n'y sommes pas encore. La méthode utilisée...

  • n'a pas été testée sur les humains,
  • n'a été utilisée que quelques heures,
  • n'a pas été testée pour tous les organes du corps,
  • et surtout: impossible de savoir si une utilisation remplissant tous les critères ci-dessus peut nous faire effectivement revenir à la vie.

Par contre, notent les auteurs, ce produit pourrait permettre de maintenir certains organes plus longtemps en vie lors du transport de ceux-ci dans le cadre de transplantations, ce qui pourrait être une avancée médicale d'importance.

Bref: repousser la mort, redéfinir la mort clinique, est-ce possible et est-ce souhaitable? Nous sommes allés poser la question à Samia Hurst, bioéthicienne en chef à l'université de Genève.

Samia Hurst, chaire de bioéthique, Université de Genève
Samia Hurst
Samia Hurst est médecin et bioéthicienne, directrice de l’Institut éthique, histoire, humanités et du Département de santé et médecine communautaire à la Faculté de médecine de Genève. Elle est aussi consultante du Conseil d’éthique clinique des HUG. Elle édite la revue Bioethica Forum, de la Société Suisse d’Ethique Biomédicale, dont elle a été présidente. Elle est aussi membre de la Commission nationale d'éthique (médecine humaine).

Samia Hurst a aussi été particulièrement médiatisée durant la pandémie de Covid, ayant été vice-présidente de la task force Covid de la Confédération.

Une ligne juridique et sociale

Car la définition philosophique de la mort diffère de sa définition médicale, dont l'utilisation est pratique. En actant et déclarant la mort sur des bases médicale et biologique, on statue sur l'état légal d'un individu: vivant ou mort.

Pour Samia Hurst, directrice de l'Institut d'éthique de l'Université de Genève, cette valeur est d'importance:

«Nos sociétés ont besoin d’une définition permettant de distinguer les vivants et les morts, car nous ne traitons pas les morts comme les vivants, ni les vivants comme les morts»
Samia Hurst

«Les uns et les autres ont des droits, mais ce qui leur est dû n’est pas identique», explique Samia Hurst. «Comme ces deux statuts ne sont pas compatibles et que nous n’avons socialement et légalement que ceux-ci, cela veut dire que nous avons besoin d’une définition qui permette d’identifier un moment précis comme celui de la mort»:

«Une bonne définition de la mort a besoin d’être claire, observable, sans ambiguïté, dénuée d’opportunisme»
Samia Hurst

La mort: définition?

L'expérience des scientifiques de Yale a moins démontré que les cellules pouvaient «ressusciter», mais plutôt qu'elles n'étaient jamais mortes:

«En tant que telles, ces cellules ne sont jamais décédées, mais cela ne veut pas dire que l’organisme n’est jamais décédé: nous sommes davantage que nos cellules.

Si l’on observe la mort d’un organisme biologique, on constate que la 'capitulation' des différentes parties de son fonctionnement n’est pas simultanée. Sous l’angle biologique, la mort est un processus.

La mort qui nous importe est celle de notre organisme et de sa capacité à fonctionner comme un tout, comme une unité biologique.»
Samia Hurst

Mais, alors, c'est quoi la mort, et quand survient-elle? Au final, cela reste une notion d'éloignement, de ligne infranchissable:

«La mort doit décrire un état dont on ne revient pas»
Samia Hurst

Une notion changeante

Il est important de noter que la définition clinique de la mort n'est pas figée dans le temps et que celle-ci a déjà changé au fil du temps.

L'experte en bioéthique note ainsi qu'au début du 20e siècle, la mort était constatée après que le cœur ait arrêté de battre.

«Nos définitions de la mort sont nécessairement dépendantes d’un état donné de nos technologies»
Samia Hurst

Car lorsque le cœur s'arrête de battre, le sang oxygéné n'est plus envoyé au cerveau et c'est celui-ci qui meurt. Le marqueur de l'arrêt cardiaque, utilisé depuis des siècles par les médecins pour constater un décès, a dû être modifié lors de l'arrivée des méthodes de respiration artificielle et de réanimation, dans les années 50. «Lorsque la réanimation cardio-respiratoire a été inventée, cet état est devenu réversible», note Samia Hurst.

De nos jours: la mort cérébrale

La question se pose donc de cibler la partie du corps dont l'arrêt des fonctions entraîne une disparition irréversible de la vie. Actuellement, il s'agit du tronc cérébral.

«La définition internationale de la mort cérébrale, qui est également inscrite dans le cadre légal en Suisse, est centrée sur la mort du cerveau, y compris du tronc cérébral, dont le rôle est essentiel pour l’intégration de l’organisme comme un tout. C’est cela qui le place au centre de la définition de la mort cérébrale.»
Samia Hurst

Concernant le cerveau, l'expérience menée par les scientifiques de Yale risque d'être toutefois plus difficile à reproduire: «Ce qui rend la technologie OrganEx si prometteuse est que suffisamment de cellules étaient encore en vie pour permettre de la régénération tissulaire dans certains organes», relève Samia Hurst. Mais pas le cerveau, justement:

«Cela ne veut pas dire qu'il serait possible de faire pareil avec le cerveau, qui se régénère nettement moins bien que les autres organes»
Samia Hurst

Réanimer n'est pas ressusciter

Les limites de la réanimation peuvent encore être poussées plus loin. «Il est entièrement possible que des progrès futurs nous conduisent à revoir la définition actuelle de la mort», admet volontiers Samia Hurst. Mais à une condition:

«La définition clinique de la mort pourrait changer s’il s’avérait que cette technologie permettait de faire redémarrer le tronc cérébral»
Samia Hurst

«Dans cet hypothétique état futur de la technologie», note l'experte, «la personne en question ne serait toutefois pas morte». En effet, la limite ayant été déplacée, «on serait devenus dans l’intervalle capables de prévenir ces morts-là aussi», ce qui relève du domaine de la réanimation. Autrement dit:

«Cela ne voudrait pas dire que la personne aurait ressuscité»
Samia Hurst

Si les limites de la réanimation peuvent, dans le futur, être poussées à des horizons qui dépassent encore notre entendement, la mort restera, quant à elle, philosophiquement comme cliniquement, l'expression d'une limite indépassable.

On le croyait mort, il était juste en train de méditer
Video: watson
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