Les parkings sont pleins et boueux, comme à Paléo. Mais ce mercredi soir pourave, la lente procession qui chemine vers la Salle polyvalente de Conthey semble emplie d'un espoir presque désuet (comme à Lourdes): l'espoir d'une vie meilleure.
C'est Annika, la fille ainée de Mike Horn, qui chauffe la salle: «Il n'est jamais trop tard pour réaliser ses rêves. J'espère que Mike vous donnera la motivation, la discipline et la force d'y parvenir.» Ovation.
Notre jeune voisin serre le poing et avec l'autre, brandit le livre du maître (la bible) acheté à la «boutique» souvenir, où la file est longue comme un anaconda. «Tout cet argent sert à financer des projets pour la planète, précisera Mike Horn. Moi, je prends 8000 balles par mois et le reste, je donne.» Double ovation.
A Conthey (comme partout ailleurs), la salle est archi-comble. Elle semble traversée d'une espèce de légèreté impalpable avant même les premières envolées de l'oracle. On vient là pour s'arracher à la gravité terrestre, apprendre à cueillir du bonheur sur n'importe quel lopin de terre. Rien que du bonheur:
Avec l'entrée en scène de Mike Horn, le silence devient religieux. Casquette à l'envers, chemise à carreaux ouverte sur de gros pecs, l'aventurier solitaire raconte ses premières années de paquetage, ses débuts dans la Suisse reculée et hostile, sa planque derrière le cinéma de Fully où il passait les nuits et où la police l'a arrêté la première fois pour vagabondage. Parce qu'avant de traverser l'Arctique, Mike Horn a battu nos campagnes, à vivre de débours et d'eau fraiche (très exactement de tomates volées et d'eau non potable).
La salle rit. La salle frémit. «La vie nous est donnée. Elle est gratuite, les gars! Gratuite! Je ne comprends pas pourquoi on n'a pas envie de saisir cette liberté qui nous est offerte à chaque instant.» Notre jeune voisin entre transe: «Oui, putain!»
Les récits allient le fantastique au métaphorique: «Dans la jungle, tu sais que si le singe mange un truc, tu peux le manger toi aussi. Aucun risque. Il te suffit de regarder le singe et de faire pareil. Si après deux jours, le singe n'a toujours rien mangé, tu montes dans l'arbre et tu le bouffes lui.»
Parfois, on va plus haut encore. Maître Horn sur son art perché: «Décide de ta vie! Si tu préfères laisser les autres décider pour toi, pas de problème, tu as raison, fais-le. Mais dans ce cas, ne râle pas! Tais-toi ou bats-toi!» Notre voisin hoche la tête sur un rythme toujours plus cadencé: «Faut combattre!»
Il y a ici tous les âges et tous les styles, depuis toute la Suisse romande. On n'est pas dans la secte du treillis militaire et de l'anorak matelassé, juste dans un aggloméré de joie pure (sinon puérile, et c'est encore meilleur). Un rien christique, un rien rock-star, Mike Horn parle à tout le monde.
C'est là une grande force de Mike Horn, au-delà des biscotos, que de réunir dans une salle plus que jamais polyvalente les cheveux blonds, les cheveux gris, les bonnes âmes et les mauvais esprits, sans jamais les perdre une seconde. A 65 francs la chaise qui, à elle seule, est une incitation à se bouger le cul, ce n'était pas gagné.
2000 personnes ont-elle entrepris ce soir-là de mener une vie de rêves (au pluriel)? Mike Horn aura surtout éveillé les consciences. «On répète souvent qu'on n'a pas le choix et quand on écoute ça, on a l'impression que c'est juste une excuse», culpabilise Lizbeth, 32 ans.
Dans son apologie de la débrouille, Mike Horn a bien eu quelques moments de faiblesse (comme dans la vraie vie), notamment quand il a remercié «les blaireaux qui se sont enfermés chez eux pendant le Covid» et lui ont abandonné le monde libre; avant de s'excuser.
Ses injonctions à vivre heureux, libre et fort, dans la terrible jungle comme à la gendarmerie de Martigny, laissent parfois à penser qu'il sous-estime sa résilience, comme tous les prodiges; ou qu'il surestime celle des autres, c'est selon. Reste qu'une vérité bien balancée ne peut faire de mal à personne.
Il y avait certes une mise en scène de la grandeur et des écrans géants pour ceux qui n'y voyaient rien, mais il y avait d'abord dans ce show, dans ce prêche à l'américaine, une énergie que l'on retrouve difficilement ailleurs, pure et dure, simple à comprendre, facile à extraire de n'importe quel tempérament volontaire.
Après 2 h 30 de conférence, à crapahuter entre icebergs et cocotiers, de Lourdes à Paléo, la foule bercée de rêves est repartie sans un bruit, juste quelques applaudissements, étourdie par la longue nuit. Certains n'attendaient que de partir pieds nus à l'assaut du Sanetsch, se nourrissant de centaurées et de boyaux d'écureuil, pour conquérir leur liberté. D'autres semblaient presque troublés, pris d'une soudaine ambivalence: «J'étais venue pour retrouver la pêche, lâche une quinqua. Mais après tout ça, je me demande plutôt si je n'ai pas raté ma vie.»