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Coupe du monde 2022: L'Espagne, cette équipe de remplaçants

epa10333398 Players of Spain celebrate their 1-0 lead during the FIFA World Cup 2022 group E soccer match between Spain and Germany at Al Bayt Stadium in Al Khor, Qatar, 27 November 2022. EPA/Friedema ...
L'Espagne ne fait qu'un.Image: EPA

L'Espagne, cette équipe de remplaçants

Luis Enrique n'hésite pas à aligner des joueurs dont le temps de jeu en club est faible. Contrairement à la plupart des participants au Mondial, l'Espagne n'est pas une sélection.
01.12.2022, 06:2101.12.2022, 06:25
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Luis Enrique a repris les destinées de l'Espagne en 2018, après un fiasco contre la Russie en huitième de finale (1-1, 4-3 tab) et une caricature de tiki-taka ennuyeux et vain. Jamais depuis l'introduction des statistiques en 1966, une équipe n’avait exécuté autant de passes (1029) au cours d'une même rencontre de Coupe du monde. Pour un seul but marqué ( 😮‍💨 ).

Sergio Ramos était en pleurs, à genou - chute d'un monument. Mais c'est tout un pan de l'histoire du football espagnol qui s'est écroulé ce jour-là: la possession de balle (81%) comme instrument de domination unique. D'un jeu de passes virtuose, l'Espagne s'est embourgeoisée dans un football maniéré et intello.

Luis Enrique a apporté deux changements majeurs: il a rendu la possession moins dogmatique, ouverte à quelques outrages (profondeur), tout en... renforçant la prépondérance du collectif sur l'individu. Le mécanisme ici est bien plus important que les éléments qui le composent: chaque élément occupe une place, une fonction, autour d'un axe de travail commun. Au sein d'un bloc homogène.

Avec une obstination bornée, Enrique a bâti son groupe sur la durée, à partir de joueurs fidèles qui, tous, adhèrent à ses principes. Le critère d'admission est moins l'état de forme, le CV ou même le talent, que le facteur d'intégration. En cela, l'Espagne n'est pas une sélection: elle est conçue comme une véritable équipe.

«En misant d'abord sur des éléments qui adhèrent à son discours, Luis Enrique a clairement privilégié une logique de groupe»
Eurosport Espagne

Pour former ce bloc, Enrique n'hésite pas à aligner des joueurs dont le temps de jeu en club est limité, quand ils ne sont pas devenus des remplaçants. L'Espagne en arrive à la situation parfois absurde, en théorie, d'aligner une escouade de viennent-ensuite.

La compo contre l'Allemagne

Simon, Carvajal, Rodri, Laporte, Alba; Gavi, Busquets, Pedri; Asensio, Olmo, Torres.

Trois des joueurs alignés dimanche affichent des temps de jeu relativement faibles dans leur club. Bilan après 14 journées de Liga (1260 minutes):

  • Marco Asensio, 9 apparitions furtives avec le Real Madrid pour un total de 178 minutes, même pas l'équivalent de deux matchs entiers.
  • Ferran Torres, un match entier à Barcelone (567 minutes).
  • Jordi Alba, 9 apparitions avec Barcelone, dont 3 n'excèdent pas la demi-heure (681 minutes).

Ce n'est guère mieux chez les remplaçants:

  • Ansu Fati, 700 minutes à Barcelone.
  • Cesar Azpilicueta, 669 minutes à Chelsea.
  • Eric Garcia, 611 minutes à Barcelone.
  • Pablo Sarabia et Carlos Soler, respectivement 313 et 286 en Ligue 1 avec le PSG.

Le projet au centre

Une approche aussi conservatrice du mode de sélection, à l'encontre de la doxa utilitaire (le fameux: «en sélection, on fait avec la vérité du moment»), ne peut être envisagée qu'avec un entraîneur particulièrement opiniâtre, idéalement avec un soutien indéfectible au plus haut niveau de la fédération, plus vraisemblablement les deux.

En quatre ans, et sans préjuger du résultat, Enrique a réussi le difficile amalgame de l'héritage et du progrès. Le style espagnol a traversé les âges avec des principes quasi spirituels de possession, de jeu au sol, de circuits courts, et avec un certain snobisme assumé (pas de dégagements aériens, pas de No 9, etc). Ce style est devenu une référence universelle pendant les sacres de 2008, 2010, et 2012, mais il est apparu bouffi d'orgueil en 2018, dans une possession sans fin ni but (s), où il ne devint plus que vanité et coquetterie, jusqu'à une certaine forme de lâcheté (pour rappel: 1029 passes/1 but contre la Russie...).

Luis Enrique.
Luis Enrique.Image: sda

Luis Enrique explique sa démarche: «Les gars que j’ai choisis ne sont pas des joueurs qui balancent des longs ballons, qui remontent le terrain pour gagner les duels et qui ne songent qu'à défendre. Les joueurs que j’ai choisis, et ceux avec lesquels j’espère connaître le succès, veulent avoir le ballon dans le camp adverse, créer des espaces malgré le pressing. Même si ça doit provoquer des crises cardiaques dans les rangs de nos supporters, mes joueurs veulent prendre des risques. Notre philosophie est claire: nous sommes meilleurs que nos adversaires si nous jouons de cette façon.»

L'élément esthétique reste omniprésent dans le raisonnement, comme Enrique l'a rappelé lundi en conférence de presse:

«Nous avons atteint un point où nous nous sommes égarés. La première chose qu'ils devraient enseigner aux entraîneurs dans les cours d'entraîneurs, c'est que c'est un spectacle, un spectacle. Il y a 50 000 ou 100 000 mecs qui te regardent au stade, puis à la maison il y a des millions de personnes. C'est comme aller voir une pièce de théâtre et si ennuyeux, à la fin, il n'y aura personne dans le théâtre.»

Les grands oubliés

Sur l'autel de ses idées, Enrique a sacrifié plusieurs individualités de premier plan, notamment les meilleurs buteurs espagnols de Liga Borja Iglesias (8 buts) et Iago Aspas (7). En défense, il a préféré Eric Garcia, totalement inexpérimenté, à Sergio Ramos, pour des raisons «philosophiques».

Au poste de gardien, David de Gea ne figure même pas dans la liste des 55 présélectionnés: Unai Simon a les faveurs du coach pour sa capacité à relancer court (et à faire ce qu'on lui demande, soufflent les médias espagnols). Thiago Alcantara, en méforme avec Liverpool et néanmoins l'un des meilleurs passeurs du monde, ne correspond pas au profil.

Bien que leader, l'Espagne n'est pas encore qualifiée pour les huitièmes de finale: une défaite contre le Japon ce mercredi est susceptible de lui être fatale. Si elle passe et réussit son tournoi, Luis Enrique sera unanimement considéré comme un bâtisseur, l'homme qui réhabilité le jeu espagnol. Si la Roja échoue, tout un pays dressera l'inventaire des fortes personnalités que l'entraîneur a écartées sciemment, au bénéfice de son autorité suprême. Au nom d'une harmonie collective ringarde et non avérée. Chacun sait que dans ce cas, il n'y a pas d'entre-deux possible.

Jeudi 1er décembre, 20 h: Espagne - Japon et Allemagne - Costa Rica.

Avec un effectif stable, en restant sourd aux revendications et aux pressions populaires, Enrique reconstruit patiemment son propre tiki-taka, en lui donnant des aspects plus protéiformes. Quelques variations, une ou deux transgressions, doivent apporter les déséquilibres et les changements de rythme sans lesquels un match reste éternellement bloqué - comme le faisait Messi dans le tiki-taka barcelonais, et comme le collectif d'Enrique est censé l'atteindre par lui-même faute de posséder un joueur de génie.

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