Gino Mäder s'est éteint à 11h30, vendredi 16 juin 2023, dans un silence de plomb, où les regards du peloton se sont tournés vers le ciel.
Ils étaient nombreux à être choqués, surtout le Français Lilian Calmejane, qui a rapidement tweeté sur la chute effroyable du Suisse dans la descente du col de l'Albula (GR) jeudi. Les médecins l'ont retrouvé dans un ruisseau, inerte, le pouls absent. Un mur de pierres a entraîné une autre chute, abrupte, d'environ 2,50 mètres. C'est là que Mäder a reçu les premiers soins. Selon les informations, après 25 minutes de tentative de réanimation sur place, le pensionnaire de la Bahrain-Victorious est transporté en hélicoptère à l’hôpital, et admis en soins intensifs.
Ils étaient nombreux à rappeler ses bouclettes et son sourire. Gino Mäder était surtout une figure appréciée du milieu. Un battant, lui qui a été poursuivi par la malchance durant sa carrière. Le Suisse de 26 ans était l'une des perles de Swiss Cycling, le coureur qui pouvait (enfin) faire flotter le drapeau à croix blanche tout en haut dans les classements généraux.
Des espoirs nourris par des performances pleines de promesses, comme cette splendide étape claquée sur le Giro 2021 ou cette autre sur le Tour de Suisse. On s'est même carrément mis à rêver quand Mäder brillait en 2021 sur les routes de la Vuelta puis en 2022 sur le bitume du Tour de Romandie. Cette année encore, au mois de mars, il se mêlait aux premières places sur Paris-Nice - terminé à la cinquième place du général.
Son profil physique parfait pour les pentes les plus raides (1m81 pour 61kg) n'a pas tenu dans la descente (trop?) rapide de l'Albula. Une portion de course qui fait aujourd'hui débat.
«Gino a cette force qui lui permet de se surpasser. Il sent quand il peut tout donner», nous expliquait Daniel Gisiger en 2022. Un coursier qui a réussi à se sublimer, essuyant des pépins à rallonge (le Covid lui collant aux pédales après une multitude de petites blessures). Des freins à sa progression qui ont scotché le Saint-Gallois à la maison. Son potentiel physique était bien là, pour qu'il devienne un grand champion. Mais l'athlète avait tendance à ruminer, à ne pas être convaincu de ses forces. Après deux années passées dans le cyclisme professionnel dans les rangs de la formation Dimension Data/NTT, il a commencé à douter de ses capacités.
Mäder était un compétiteur hors pair, certes avec ses doutes, qui se démarquait surtout par son humilité, son amour du vélo. «Le divorce de mes parents m'a décidé à devenir pro», avouait-il. C'était un gars qui n'hésitait pas à passer du temps avec les fans de la petite reine, à discuter, échanger. Un super type qui n'avait pas la grosse tête. Il était, paraît-il, dans son monde, nous confessait l'un de ses anciens compagnons d'entraînement.
Un rêveur qui aurait pu nous emmener très loin avec lui sur les routes du Tour. Son profil de coureur est devenu rare en Suisse, après des années de triomphes. Les légendes Hugo Koblet et Ferdy Kübler n'ont pas entraîné d'autres cyclistes suisses dans leur sillage, malgré les performances des Tony Rominger ou Alex Zülle dans les années 90, deux coureurs qui ont bataillé sur des épreuves de trois semaines, réussissant à arracher des Vuelta et des Giro.
Mäder devait être celui qui allait combler cette lacune dans le cyclisme suisse, lui qui avouait entrer dans la meilleure phase de sa carrière. Michele Bartoli, son coach depuis 2021 à la Bahrain-Victorius, disait à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ):
Le plus triste est que le regretté Mäder possédait aussi des qualités de descendeur, grâce à un passé de cyclocrossman. C'était d'ailleurs lui qui avait fait exploser les favoris lors des Mondiaux espoirs d'Innsbruck (avec Patrick Müller), offrant le titre sur un plateau à Marc Hirschi.
Coureur complet et aussi engagé pour la cause climatique, il laisse derrière lui une grande tristesse et une foule d'espoirs inachevés. Il déclarait encore le 13 juin dans les colonnes de la NZZ avoir reçu de «captivantes offres d'équipes pour la suite de sa carrière». Celle-ci s'est brusquement arrêtée trois jours plus tard. Gino Mäder va nous manquer.