Sport
Football

FIFA: Pourquoi Infantino peut (presque) tout se permettre

FIFA: Pourquoi Infantino peut (presque) tout se permettre
Gianni Infantino, en poste depuis 2016, restera président de la Fifa au moins jusqu'en 2027.image: keystone

Pourquoi Gianni Infantino peut (presque) tout se permettre

Le Valaisan (52 ans) vient d'être réélu jeudi président de la Fifa jusqu'en 2027. Il était sans concurrent et règne quasiment en monarque absolu sur le football mondial. Analyse.
17.03.2023, 16:5517.03.2023, 20:01
François Schmid-Bechtel / ch media
Plus de «Sport»

L'interdiction du brassard «One Love». Le discours bizarre «Aujourd'hui, je me sens handicapé». Ses interventions en tant qu'avocat du Qatar lorsque les droits de l'Homme et des travailleurs sont remis en question dans l'État du Golfe. Ses applaudissements lors de la remise de la Coupe du monde, lorsque l'émir habille Lionel Messi d'une robe qatarie. Ses esquivements quand il est question du fonds destiné à indemniser les familles des travailleurs accidentés sur les chantiers du Mondial.

Ou, plus récemment, la nomination d'un top model brésilien comme ambassadrice de la Coupe du monde dames et l'engagement de Noël Le Graët – président démissionnaire de la fédération française, qui fait l'objet d'une enquête judiciaire pour harcèlement moral et sexuel – en tant que bras droit. Et puis, c'est «Visit Saudi», le slogan touristique officiel de l'Arabie saoudite, pays où les droits des femmes sont limités, qui doit devenir le sponsor principal de la Coupe du monde féminine.

epa10373010 Lionel Messi (R) of Argentina celebrates with the World Cup trophy next to Tamim bin Hamad Al Thani (C), the Emir of Qatar, and FIFA President Gianni Infantino (L) during the trophy ceremo ...
Gianni Infantino lors de la remise de la Coupe du monde 2022, avec l'émir du Qatar et Lionel Messi vêtu du bisht. image: keystone

La liste est longue. Oui, le président de la Fifa, Gianni Infantino, a un sens inné de la gaffe. En tout cas si on adopte le point de vue occidental. C'est pourquoi il fait l'objet de critiques permanentes. En partie, aussi, par des membres de sa propre famille. Mais il n'a rien à craindre de tout ça.

Une Europe dépassée et des fréquentations douteuses

Pourtant, beaucoup pensaient qu'Infantino traînait suffisamment de casseroles pour tomber de son trône. Mais le fait que les Européens n'aient pas réussi à se mettre d'accord pour présenter un autre candidat, ni même essayer, révèle l'impuissance de l'Europe dans le football mondial.

Si ce n'était pas déjà le cas, les fédérations nationales critiques envers la Fifa ont été mises au pas au plus tard lors du Mondial au Qatar. Oui, l'époque où les grandes nations européennes du football fixaient les règles du jeu est révolue.

Personne ne le sait mieux qu'Infantino lui-même. C'est pourquoi il se moque de la manière dont ses actions sont commentées sur le Vieux Continent. Il a compris que ce n'est pas l'Europe qui est importante pour le président de la Fifa. Ce sont les marchés en pleine croissance en Asie et dans la région du Golfe. Des pays qui ont donc des intentions similaires aux siennes: faire fructifier l'argent et étendre le pouvoir. Des pays qui lui déroulent le tapis rouge, dans lesquels il ne doit pas se confronter à des valeurs et des réglementations qui lui barrent la route ailleurs.

epa06808133 (from left) Saudi Arabia's Crown Prince Mohammad bin Salman, FIFA president Gianni Infantino and Russian president Vladimir Putin during the FIFA World Cup 2018 group A preliminary ro ...
Infantino (au milieu) avec le président russe Vladimir Poutine (à droite) et le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, lors du Mondial 2018. Image: keystone

Infantino atteint ses objectifs. La Fifa est une véritable planche à billets, elle encaisse 5,2 millions de dollars par jour – avec une forte tendance à la hausse. En effet, pour le cycle 2023-2026, on s'attend à des recettes de 11 milliards. De 2019 à 2022, ce chiffre était de 7,6 milliards. De quoi se montrer généreux, verser de grosses primes aux fédérations et récompenser les membres du Conseil de la Fifa de 250'000 dollars pour peut-être trois réunions par an. Sans compter l'indemnité journalière de quelques centaines de dollars, plus la prise en charge par la Fifa de tous les repas.

De l'argent qui ne fait pas de mal à Infantino – il a gagné 3,6 millions de dollars l'année dernière – ni à la Fifa. De l'argent qui aide aussi à apaiser les voix critiques. Il permet de contrer la résistance, parce que de très nombreuses fédérations nationales sont extrêmement heureuses avec Infantino.

L'ex-porte-parole de la Fifa, Alexander Koch, qui a travaillé aussi bien sous Sepp Blatter que sous Infantino, est malgré tout étonné que personne ne s'en prenne à ce dernier. Mais il se demande aussi:

«Laissons de côté la sympathie: qu'est-ce qui dérange exactement les gens chez Gianni Infantino?»
Alexander Koch, ancien porte-parole de la Fifa

Réponse: le fait qu'il fasse cause commune avec des dictateurs (Vladimir Poutine) et des Etats de non-droit (Arabie saoudite, Qatar). Qu'il gonfle la Coupe du monde à 48 équipes. Qu'il souhaite concurrencer la Ligue des champions avec le Mondial des clubs. Qu'il vend le peu d'âme qu'il reste au football. Et ce, en Arabie saoudite, au Qatar, en Chine ou ailleurs, là où le football est utilisé en premier lieu pour le sportswashing.

Une Norvégienne tenace et l'ambivalence de l'ASF

Alexander Koch ne réfute pas ces accusations. Mais il questionne:

«Est-ce que quelqu'un en Europe s'est opposé aux plans et aux manœuvres d'Infantino dans les instances concernées? Non, parce qu'ils savent qu'ils ne peuvent rien faire, parce qu'ils ne sont pas majoritaires.»
Alexander Koch
Fotball kvinner A-landslaget, privat landskamp Norge - Uruguay. Angers, Frankrike 20230215. Fotballpresident Lise Klaveness pa banen for privatlandskampen i fotball mellom Norge og Uruguay pa Raymond  ...
La présidente de l'association norvégienne de football, Lise Klaveness, est la critique la plus féroce contre Infantino.image: www.imago-images.de

Seule la présidente de la fédération norvégienne, Lise Klaveness, ose tenir tête à Infantino. Par exemple, il y a un an, lors du congrès de Doha, lorsqu'elle a rappelé dans son discours à la Fifa son rôle de modèle en matière de droits de l'Homme, de transparence ou de lutte contre les discriminations. Une prise de parole vue comme une monstruosité aux yeux de la majorité de la salle. Et voilà qu'un an plus tard, même d'autres fédérations européennes conseillent à madame Klaveness de lever le pied.

Reste à savoir quelle est l'attitude de la Suisse vis-à-vis d'Infantino. Le président de l'Association suisse de football (ASF), Dominique Blanc, trouve des points positifs dans l'action du président de la Fifa:

«Infantino promeut le football féminin et fait avancer des développements comme la VAR et la technologie hors-jeu. De manière générale, la Fifa est devenue un peu plus transparente. L'attribution de la Coupe du monde est devenue plus démocratique, car toutes les fédérations ont une voix. Il veut davantage de phases finales pour les équipes nationales juniors. Et l'aide non bureaucratique durant la pandémie de Covid-19 de 1,5 million de francs a bien arrangé chaque association membre et nous aussi.»
Dominique Blanc, président de l'ASF
FIFA President Gianni Infantino, left, reacts next to Switzerland's soccer federation president Dominique Blanc, right, during the FIFA World Cup Qatar 2022 group G soccer match between Switzerla ...
Dominique Blanc (à droite) avec Gianni Infantino.image: keystone

L'ASF semble donc très satisfaite. Mais Dominique Blanc considère toutefois que le président de la Fifa a une dette: le fonds d'indemnisation pour les familles des travailleurs migrants accidentés sur les chantiers du Mondial qatari.

«Nous, c'est-à-dire l'ASF et neuf autres associations européennes, allons insister auprès d'Infantino lors du congrès pour que ce fonds soit mis en place»
Dominique Blanc

Le président de l'ASF ajoute: «Nous attendons clairement de la Fifa, dans le domaine des droits de l'Homme, qu'elle en tienne compte dans ses actes et ses actions. Et nous souhaitons que la Fifa et l'UEFA collaborent de manière encore plus constructive dans ces domaines et dans d'autres.»

Une utopie et un objectif caché

La question de savoir si le Valaisan, à la veille de son 53e anniversaire, prêtera une oreille attentive au fonds d'indemnisation reste ouverte et dépendra des opportunités.

Ce qui est moins flou, c'est sa volonté de réaliser son prochain gros coup avec la Coupe du monde 2030, qui sera attribuée l'année prochaine. Il est question d'une candidature tripartite avec l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Grèce: un Mondial sur trois continents, ça n'a encore jamais été fait. Et puis, Infantino a avancé l'idée qu'Israël pourrait aussi organiser cette Coupe du monde avec certains pays voisins arabes.

Ce plan semble extrêmement aventureux en raison des tensions politiques et sociales. Mais peut-être Infantino a-t-il encore un autre objectif derrière la tête: remporter le Prix Nobel de la paix, qui a échappé à son prédécesseur Sepp Blatter.

Adaptation en français: Yoann Graber

Ces îles sont à vendre, il y en a pour toutes les bourses!
1 / 7
Ces îles sont à vendre, il y en a pour toutes les bourses!
Polynésie française - 36 millions de francs.
source: www.privateislandsonline.com
partager sur Facebookpartager sur X
Les commentateurs de la Coupe du monde 2022
Video: watson
Plus d'articles sur le sport
Montrer tous les articles
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Arabie saoudite: un spectateur fouette le coéquipier de Benzema
Scène improbable à l'issue de la finale de la Supercoupe d'Arabie saoudite, jeudi à Abou Dabi aux Emirats arabes unis. Un joueur a reçu des coups de fouet par un homme présent en tribune.

La finale de la Supercoupe d'Arabie saoudite a livré son verdict. Et c'est Al-Hilal qui a été titré jeudi, après son succès 4-1 contre Al-Ittihad, le club des Français Karim Benzema et N'Golo Kanté.

L’article