L'interdiction du brassard «One Love». Le discours bizarre «Aujourd'hui, je me sens handicapé». Ses interventions en tant qu'avocat du Qatar lorsque les droits de l'Homme et des travailleurs sont remis en question dans l'État du Golfe. Ses applaudissements lors de la remise de la Coupe du monde, lorsque l'émir habille Lionel Messi d'une robe qatarie. Ses esquivements quand il est question du fonds destiné à indemniser les familles des travailleurs accidentés sur les chantiers du Mondial.
Ou, plus récemment, la nomination d'un top model brésilien comme ambassadrice de la Coupe du monde dames et l'engagement de Noël Le Graët – président démissionnaire de la fédération française, qui fait l'objet d'une enquête judiciaire pour harcèlement moral et sexuel – en tant que bras droit. Et puis, c'est «Visit Saudi», le slogan touristique officiel de l'Arabie saoudite, pays où les droits des femmes sont limités, qui doit devenir le sponsor principal de la Coupe du monde féminine.
La liste est longue. Oui, le président de la Fifa, Gianni Infantino, a un sens inné de la gaffe. En tout cas si on adopte le point de vue occidental. C'est pourquoi il fait l'objet de critiques permanentes. En partie, aussi, par des membres de sa propre famille. Mais il n'a rien à craindre de tout ça.
Pourtant, beaucoup pensaient qu'Infantino traînait suffisamment de casseroles pour tomber de son trône. Mais le fait que les Européens n'aient pas réussi à se mettre d'accord pour présenter un autre candidat, ni même essayer, révèle l'impuissance de l'Europe dans le football mondial.
Si ce n'était pas déjà le cas, les fédérations nationales critiques envers la Fifa ont été mises au pas au plus tard lors du Mondial au Qatar. Oui, l'époque où les grandes nations européennes du football fixaient les règles du jeu est révolue.
Personne ne le sait mieux qu'Infantino lui-même. C'est pourquoi il se moque de la manière dont ses actions sont commentées sur le Vieux Continent. Il a compris que ce n'est pas l'Europe qui est importante pour le président de la Fifa. Ce sont les marchés en pleine croissance en Asie et dans la région du Golfe. Des pays qui ont donc des intentions similaires aux siennes: faire fructifier l'argent et étendre le pouvoir. Des pays qui lui déroulent le tapis rouge, dans lesquels il ne doit pas se confronter à des valeurs et des réglementations qui lui barrent la route ailleurs.
Infantino atteint ses objectifs. La Fifa est une véritable planche à billets, elle encaisse 5,2 millions de dollars par jour – avec une forte tendance à la hausse. En effet, pour le cycle 2023-2026, on s'attend à des recettes de 11 milliards. De 2019 à 2022, ce chiffre était de 7,6 milliards. De quoi se montrer généreux, verser de grosses primes aux fédérations et récompenser les membres du Conseil de la Fifa de 250'000 dollars pour peut-être trois réunions par an. Sans compter l'indemnité journalière de quelques centaines de dollars, plus la prise en charge par la Fifa de tous les repas.
De l'argent qui ne fait pas de mal à Infantino – il a gagné 3,6 millions de dollars l'année dernière – ni à la Fifa. De l'argent qui aide aussi à apaiser les voix critiques. Il permet de contrer la résistance, parce que de très nombreuses fédérations nationales sont extrêmement heureuses avec Infantino.
L'ex-porte-parole de la Fifa, Alexander Koch, qui a travaillé aussi bien sous Sepp Blatter que sous Infantino, est malgré tout étonné que personne ne s'en prenne à ce dernier. Mais il se demande aussi:
Réponse: le fait qu'il fasse cause commune avec des dictateurs (Vladimir Poutine) et des Etats de non-droit (Arabie saoudite, Qatar). Qu'il gonfle la Coupe du monde à 48 équipes. Qu'il souhaite concurrencer la Ligue des champions avec le Mondial des clubs. Qu'il vend le peu d'âme qu'il reste au football. Et ce, en Arabie saoudite, au Qatar, en Chine ou ailleurs, là où le football est utilisé en premier lieu pour le sportswashing.
Alexander Koch ne réfute pas ces accusations. Mais il questionne:
Seule la présidente de la fédération norvégienne, Lise Klaveness, ose tenir tête à Infantino. Par exemple, il y a un an, lors du congrès de Doha, lorsqu'elle a rappelé dans son discours à la Fifa son rôle de modèle en matière de droits de l'Homme, de transparence ou de lutte contre les discriminations. Une prise de parole vue comme une monstruosité aux yeux de la majorité de la salle. Et voilà qu'un an plus tard, même d'autres fédérations européennes conseillent à madame Klaveness de lever le pied.
Reste à savoir quelle est l'attitude de la Suisse vis-à-vis d'Infantino. Le président de l'Association suisse de football (ASF), Dominique Blanc, trouve des points positifs dans l'action du président de la Fifa:
L'ASF semble donc très satisfaite. Mais Dominique Blanc considère toutefois que le président de la Fifa a une dette: le fonds d'indemnisation pour les familles des travailleurs migrants accidentés sur les chantiers du Mondial qatari.
Le président de l'ASF ajoute: «Nous attendons clairement de la Fifa, dans le domaine des droits de l'Homme, qu'elle en tienne compte dans ses actes et ses actions. Et nous souhaitons que la Fifa et l'UEFA collaborent de manière encore plus constructive dans ces domaines et dans d'autres.»
La question de savoir si le Valaisan, à la veille de son 53e anniversaire, prêtera une oreille attentive au fonds d'indemnisation reste ouverte et dépendra des opportunités.
Ce qui est moins flou, c'est sa volonté de réaliser son prochain gros coup avec la Coupe du monde 2030, qui sera attribuée l'année prochaine. Il est question d'une candidature tripartite avec l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Grèce: un Mondial sur trois continents, ça n'a encore jamais été fait. Et puis, Infantino a avancé l'idée qu'Israël pourrait aussi organiser cette Coupe du monde avec certains pays voisins arabes.
Ce plan semble extrêmement aventureux en raison des tensions politiques et sociales. Mais peut-être Infantino a-t-il encore un autre objectif derrière la tête: remporter le Prix Nobel de la paix, qui a échappé à son prédécesseur Sepp Blatter.
Adaptation en français: Yoann Graber