Si vous avez pris le temps de regarder la troisième saison de la série Tour de France: au coeur du peloton sur Netflix, vous vous souvenez sans doute que Jonathan Vaughters, CEO de EF Pro Cycling, se plaignait de voir son poulain Richard Carapaz galérer pour remporter une étape. «Dans un Tour de France plus traditionnel, on aurait pu remporter une étape», se plaint le boss de l'équipe américaine après que Carapaz se soit fait avaler par Pogacar et Vingegaard sur les pentes du Plateau de Beille.
Dans la voiture EF, sur le coup de la déception peut-être, il y a cette phrase assassine qui résonne:
Elle se conjugue avec les multiples «ils font chier ces UAE» entendus lors de ce même épisode par une voix qu'on devine celle de Marc Madiot, le mythique boss des Groupama FDJ.
Ces suites de mots remontent à 2024. Et en 2025, c'est le même refrain, la même colère dans les voitures, chez les observateurs et le public, ainsi qu'au sein de la presse qui peine à s'extasier face aux performances. L'opinion amende UAE et son leader à force d'aisance.
Ce Tour de France 2025 a été une pâle édition, où la concurrence ne cherchait même plus à gêner les UAE. La Grande Boucle s'est retrouvée prisonnière d'une équipe qui a verrouillé, qui a pris en otage un spectacle qui n'a jamais eu lieu. Même privée de l'un de ses grands lieutenants, Joao Almeida, elle n'a jamais flanché, n'a jamais senti le souffle des autres formations leur chatouiller la nuque. Cette édition semblait jouée d'avance et les autres formations évoluaient dans une ou deux ligues en-dessous.
La troupe de Tadej Pogacar a décidé de tout, du sort de la course, de l'instant où elle souhaitait lâcher son maillot jaune (Van der Poel ou encore Healy peuvent en témoigner). Il y a l'exemple de vendredi, lors de l'arrivée à La Plagne, où le leader slovène semblait compter ses coups de pédale pour faire gagner Thymen Arensman au détriment de Jonas Vingegaard. Contrat rempli.
Le Slovène disait même «compter les kilomètres jusqu'à Paris», rien que ça, tout en avouant un ennui sur la selle. En troisième semaine, il semblait courir contre-nature et avoir le mal du pays.
Le bonhomme a vu son maillot jaune se transformer en bleu de travail, presque fatigué de son emprise et enfermé dans le monstre qu'il a créé.
La vista, l'insouciance du cyclisme qu'on soulignait il y a encore quelques années se perd dans ce nouvel état d'esprit des UAE et Pogacar, devenu froid et calculateur. Le Slovène s'est canalisé, selon son entourage. La fouge de la jeunesse n'est plus, vive la maturité pour écraser son sport.
Pogi s'ennuie et nous avec. On se surprend à ne plus s'impatienter à voir les étapes de montagne; on devient nostalgique d'un Tour d'Italie 2025 enthousiasmant et incertain. On compte les défaillances passées du roi slovène pour s'obliger à croire à une dramaturgie fantasmée. On se dit que sans l'ogre slovène et UAE, la course (ou la fête) serait plus folle.
Cette écrasante domination collective sur ce Tour de France 2025 laisse un goût amer. C'est un vrai supplice de voir les UAE et leur leader aussi performants toute l'année, sans jamais faiblir.
Eric Boyer, ancien boss de la Cofidis, disait qu'il en avait marre de voir «les équipes pleurer en cachette au pied des bus» et dénonçait une domination «suspecte» au Parisien.
Nous aussi, on pleurniche.
C'est un aveu de ras-le-bol face à une équipe à la force de frappe écrasante qui fait dégoupiller l'autre grande formation, Visma Lease a bike, absolument déclassée sur tous les tableaux. Grischa Niermann, le directeur sportif de la Visma, n'a lui aussi que ses yeux pour pleurer.
UAE Team Emirates écrase le vélo et affiche un large sourire au pied du bus. Plus surprenant, Tadej Pogacar, malgré le maillot arc-en-ciel et le jaune pétant, a la mine sombre, au moins jusqu'à Paris.