Ce devait être une purge, le match à rater absolument, de ces distractions du dimanche qui font regretter les parties de Uno. Burnley, bastion du fighting spirit anglais, les mollets chargés de testostérone, rendait visite à Tottenham, converti au réalisme depuis que José Mourinho l'a pris en main. Entre deux grands timides, c'était couru d’avance: nonante minutes à se regarder dans le blanc des yeux, à attendre l’ouverture, peut-être un malentendu, en faisant mine d’en avoir dans le pantalon - comme le disent encore les vieux entraîneurs du Nord quand ils désignent les forces du mâle.
Et puis non: lancé par un but de Gareth Bale après deux minutes, Tottenham a écrasé Burnley 4-0, dans la joie et l'allégresse. Il est apparu transfiguré, oeil rieur, sourire canaille. Il a retrouvé un allant suspect, égayé de dribbles espiègles et de raids extravagants. Ô surprise. Ô miracle?
The Athletic croit savoir que, excédés par les obsessions défensives de José Mourinho, les attaquants de Tottenham ont décidé secrètement de n’en faire qu’à leur tête, sinon de dépoussiérer les schémas de leur ancien entraîneur, Maurizio Pochettino (aujourd’hui au Paris SG).
Toujours est-il que Mourinho a passé son dimanche à bougonner et bouder, malgré le score (envie d'un petit Uno)? Toujours est-il qu'il lui reste deux autres semaines pour gagner des matches, subséquemment la confiance de son employeur, et éviter un licenciement. Deux petites semaines pour prouver que, à 58 ans, il n’est pas un homme du passé, un vieux beau en Clarke marine perclu de certitudes, bon à étaler sa science sur les plateaux télés.
Il en coûterait 35 millions d’euros à Tottenham pour rompre le contrat du Special One (son surnom auto-décerné), dont les indemnités de départ culminent déjà à 62 millions d’euros depuis le début de sa carrière (sans oublier une Ferrari 612 Scaglietti offerte par Roman Abramovitch, propriétaire de Chelsea, en guise de souvenir). Depuis vingt ans que Mourinho est l’un des entraîneurs les mieux payés au monde, jamais autant de personnes ne se sont demandées pourquoi qu'aujourd'hui.
Plus encore que son sens du placement et du jeu de transition, le Portugais avait ce don de convaincre qu’il est un gagneur, même quand il perd. Le 24 février, au sortir d’une cinquième défaite en six matches, il cherchait surtout à se convaincre lui-même: «Je ne doute pas, absolument pas. Zéro. Mes méthodes n’ont pas d'équivalent dans le monde.»
The Athletic prétend que les attaquants de Tottenham ne trouvent plus le cru spécial à leur goût. Quasi imbuvable, parfois, à les saouler de mises en garde. La contestation tient surtout à la posture défensive de l’équipe. Les Spurs campent sur les pattes arrières, bloc bas, longs ballons, aucune imprudence. Cette position repliée prend la forme d'une dérive sécuritaire: contenir l'adversaire plutôt que déployer ses talents. Éviter les erreurs plutôt que pousser à la faute. Exploiter des faiblesses plutôt qu’imposer ses forces.
En bon vaudois, on dirait que son Tottenham joue le péclet, la pétoche, la carotte, tous derrière et deux devant (Harry Kane et Heung-min Son). José Mourinho n’est certes pas le seul responsable, son CV parle autant que lui et sa passion des opérations commandos le conduira peut-être à la victoire en Ligue Europa. Mais peut-il vraiment redevenir l’éminence poivre et sel que les grands d’Europe convoitent, le bel insolent en costume Armani qui, plein de lui-même, considérait la défaite comme un accident de travail, qui ne prenait jamais ses collègues pour des ploucs, mais n’oubliait pas facilement qu'ils le sont?
Il subsiste en même temps chez Mourinho ce petit charme suranné, une façon d’exercer son autorité qui le rend, non plus tellement spécial mais, au contraire, extraordinairement prosaïque, capable d’exprimer avec des mots simples ce que des confrères plus progressistes développent avec des concepts éprouvés.
Sauf que les numéros de Mourinho ne servent à plus rien s’ils ne font rire personne, et encore moins si ses joueurs gagnent 4-0 quand ils font la sourde oreille. C’est un peu la réflexion du président de Tottenham, Daniel Lévy, dont le Daily Telegraph prétend qu’il a déjà trouvé le successeur du Banal One: Julian Nagelsmann, jeune entraîneur du RB Leipzig, surnommé… The Baby Mourinho.