Le HC Ajoie a égalisé jeudi à deux victoires partout (succès 4-1 à l'extérieur), mais il ne pouvait pas imaginer pire dans ce début de barrage: deux défaites initiales contre le «petit» de Swiss League, La Chaux-de-Fonds. Et elles étaient logiques, avec notamment une prestation affligeante lors de l'acte II samedi dernier.
Alors, après cette déroute aux Mélèzes (1-4), les dirigeants jurassiens ont réagi: ils ont imposé un silenzio stampa au staff technique et aux joueurs. En bon français: les coachs et les hockeyeurs n'ont plus le droit de s'exprimer dans les médias jusqu'à la fin de ce barrage.
«Nous souhaitons que les joueurs conservent leur énergie, qu’ils se retrouvent ensemble, qu’ils se reconnectent», justifiait Kimmo Bellmann, directeur administratif du HC Ajoie, dans Le Quotidien jurassien.
Oui, la première raison qui vient en tête quand on évoque cette mesure, c'est la nécessité pour l'équipe en crise d'éviter les charges mentales parasites et de se concentrer sur l'essentiel: retrouver son hockey sur glace pour se sauver. Mais le silenzio stampa a aussi une autre fonction d'ordre préventive, certainement tout aussi importante mais moins évidente.
C'est celle qui avait poussé Jean-François Collet, président de Neuchâtel Xamax, à interdire à ses joueurs de parler aux journalistes la semaine avant le match couperet de Challenge League à Chiasso contre la relégation, en mai 2021. «Souvent, quand un club va mal, ses membres, joueurs, entraîneurs et dirigeants compris, n'assument pas leur responsabilité et rejette la faute sur les autres», constate le boss de la Maladière.
D'autant plus que, dans une situation délicate, les nerfs sont souvent à fleur de peau et la petite étincelle qui passerait inaperçue le reste du temps a tout à coup le potentiel d'allumer un incendie.
Jean-François Collet voit un autre danger qui justifie le refus de parler aux médias.
Mais cette pratique restreint – temporairement – la liberté de la presse. Le président xamaxien le reconnaît. «C'est pour ça qu'il ne faut pas opter systématiquement pour un silenzio stampa dès que ça va mal», prévient-il.
Filippo Lombardi a lui aussi pesé méticuleusement les intérêts de chacun quand il a décrété un silenzio stampa aux hockeyeurs d'Ambri-Piotta lors du barrage contre Langenthal en 2017. Et il avait une double raison de le faire: il est à la fois président du club léventin et chef du groupe de médias TeleTicino. Comme Jean-François Collet, le Tessinois explique ce choix pour prévenir les querelles de vestiaire et la nécessité de ne pas s'éparpiller:
Même si c'est lui qui dirige Ambri, Filippo Lombardi explique que le silenzio stampa de 2017 avait été décidé après des discussions avec le conseil d'administration et le staff technique, d'un commun accord. Et quid de la réaction des journalistes? Le président léventin assure n'avoir reçu aucune critique ni plainte. «C'était une décision bénéfique, parce qu'elle a soulagé les joueurs en leur enlevant de la pression psychologique», se félicite-t-il. Le résultat ne peut pas lui donner tort: Ambri avait balayé Langenthal 4-0.
Quelques kilomètres plus au Sud, Antoine Rey a lui aussi connu un silenzio stampa au FC Lugano. Il avait été imposé par le président, Angelo Renzetti, en novembre 2017. Mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas marqué l'ex-milieu de terrain vaudois. «Je ne m'en souviens même pas», rigole-t-il au bout du fil. Mais ça ne l'empêche pas d'avoir un avis sur la pratique, et il est moins favorable que ceux de Jean-François Collet et Filippo Lombardi:
En tant que capitaine de l'équipe tessinoise, Antoine Rey était souvent le préposé à répondre aux journalistes. «Souvent après les défaites, d'ailleurs», précise-t-il avec un sourire. Mais il n'y allait jamais à reculons parce que, pour lui, «le sport professionnel n’est pas grand chose sans la presse, les médias font partie du jeu.» Et le Vaudois voit un risque à la boycotter:
Mais pour l'instant, les dirigeants du HC Ajoie ont de bonnes raisons de penser que leur décision était la bonne: depuis qu'ils sont muets avec les médias, les hockeyeurs jurassiens ont enchaîné deux victoires et se sont complètement relancés dans leur série face à «La Tchaux» (2-2).
S'ils parviennent à sauver leur peau en National League, on entendra peut-être répéter dans le Jura qu'il vaut mieux donner sa langue au chat qu'à la presse.