Alors que l'on se fait délicatement écraser dans la foule, il me semble reconnaître Get Busy. Certes, on aurait pu ne pas se pointer à 22 heures 11 pour un concert qui commence à 22 heures 15, mais à voir cette immense fourmilière remplie de gens qui se marchent littéralement dessus, il semble que nous ne soyons pas les seuls à ne pas être allés camper trois heures à l'avance devant la scène Vega pour voir Sean Paul.
«Ecoutez-moi! Si vous voulez aller à l'étage, sachez que c'est plein, vous ne verrez rien!», crie un bénévole à l'entrée des escaliers menant à un balcon surplombant la pelouse. De toute façon, si on reste là, au milieu du passage, après avoir essayé sur le côté gauche, puis le côté droit de la scène, en vain, on ne verra rien. Il faut qu'on tente quelque chose.
«Eux, c'est bon, j'ai contrôlé leurs bracelets», hurle un bénévole à son collègue. Ah bon? Moi, vous ne m'avez pas contrôlée. Peu importe, avec mes deux amis, on monte. C'est effectivement plein à craquer. «C'est safe, vous pensez? C'est blindé et tout le monde qui danse, ça va s'effondrer, haha!», rigole ma pote, qui ne rigole qu'à moitié.
Pas le temps de réfléchir, le chanteur jamaïcain vient nous cueillir avec le duo Cheap Thrills. Sia n'est pas avec lui sur scène? Peu importe, la foule fait son travail et reprend les paroles en chœur.
Bonne question. Pourquoi booker un artiste international qui fait danser les foules avec ses tubes iconiques depuis 25 ans si c'est pour le programmer sur la scène Vega, qui n'a pas la capacité d'accueillir tous les festivaliers qui comptaient voir Sean Paul? Sur la pelouse, la foule semble s'être même densifiée depuis 10 minutes.
L'artiste, lui, continue son show. Il envoie Baby Boy et sur cette structure, on se demande si elle va tenir. Les gens chantent, dansent, se bousculent... Les sentiments sont mitigés. D'un côté, les «ex-jeunes des années 2000» (dont nous faisons partie) ont l'air heureux qu'on ravive leurs souvenirs avec Sean Paul. D'un autre, si c'est pour nous gâcher la fête en nous laissant nous entasser les uns sur les autres pour apercevoir un bout d'écran, était-ce bien la peine?
Le show se poursuit et le public frôle l'hystérie sur Bailando, Breathe, Give It Up To Me. Les corps se déhanchent, peut-être avec un peu moins de souplesse qu'à l'époque où, à peine majeurs (parfois même pas), on sortait jusqu'à point d'heure. On a vieilli, Sean Paul, 51 printemps au compteur, aussi. Pour autant, il a l'air d'être resté un peu coincé dans les années 2000.
Le t-shirt par-dessus le pull à manches longues? On avait presque oublié cette tendance affreuse. Le motif tête de mort qui brille, tout comme son micro? Please, no. Les grosses chaînes en or? Haha. Taper la pose en croisant les bras? Mec, on est pas dans Pimp My Ride. Et surtout, la petite phrase à l'attention de ces dames dans le public...
Sans pour autant tout cancel ou renier, il y a des choses qu'on devrait laisser dans les années 2000. Le fait de résumer les femmes à leur physique, par exemple.
On n'a pas le temps de s'énerver, le Jamaïcain continue d'envoyer ses plus grands tubes en dansant. Haranguer la foule, ça il sait faire. Ses danseuses aussi, d'ailleurs.
Vêtues d'un string, d'un top avec des motifs de flammes, de bas résilles et d'espèces de sangles (??) autour des cuisses, elles enchaînent. Elles ont l'air infatigables.
La dame, elle twerke sur le monsieur, là. «Ça va, c'est un concert de Sean Paul, pas le Lac des Cygnes», lui réponds-je. Il souligne qu'il y a des enfants dans le public, que c'est un festival familial. Mmmoui... Mais en venant ici, on pouvait s'attendre à ce que le show soit fidèle aux clips de l'artiste.
En tout cas, on aurait été déçus que ça ressemble à la kermesse d'un EMS. Vraiment, arrêtons de tout cancel, merde. Les années 2000 (à part le collier de barbe à la K-Maro, les immenses ceintures par-dessus les robes et l'obligation de porter des talons de 12 centimètres pour entrer en boîte), c'était super.
Le concert a commencé depuis bientôt une heure. «Oh non, ça passe trop vite!», lance ma pote. C'est sûr que si on réunit des trentenaires et des quadras et qu'on leur lance I'm Still In Love, Like Glue et She Doesn't Mind sans leur laisser le temps de reprendre leur souffle, le temps va filer à une vitesse folle. Au moins, on en oublie qu'on est écrasés les uns contre les autres.
Il est 23 heures 21, Sean Paul semble vouloir nous achever avec Temperature. Elle porte bien son nom, on dirait qu'on a pris 20 degrés dans la tronche. Le balcon s'est peu à peu vidé, on a la place pour danser. Allez, un dernier morceau? Ah, bah non.
Effectivement, l'artiste a terminé son concert en avance. Déjà qu'une heure quinze de show, c'est court, alors s'il nous grignote quelques minutes... «C'est vrai qu'il aurait pu nous balancer encore un titre et ça aurait fait pile une heure et quart.» On a passé une bonne soirée, mais on est un peu déçus. Déçus par la durée du show, déçus par sa programmation sur une scène à la capacité trop limitée par rapport à la foule...
En quittant le festival, on entend d'autres personnes déçues se plaindre du choix de la scène pour Sean Paul. «On se fait reléguer les artistes de notre jeunesse sur les plus petites scènes, ça sent le sapin pour nous les gars...», rigole un type qui doit avoir le même âge que nous.
Mmhh Patti Smith, qui soufflera ses 78 bougies en décembre, a pourtant été programmée sur la Grande Scène tout à l'heure. La rockeuse a ensuite cédé la place au duo rock Royal Blood. Les programmateurs auraient-ils une préférence pour le rock que le dancehall?
En tout cas, ce mercredi matin, sur les réseaux sociaux, d'autres voix s'élèvent contre ce choix de Vega plutôt que la Grande Scène. Moins fringante que dans les années 2000, je me dis surtout qu'on a de la chance d'avoir pu se coucher à «seulement» une heure du matin.