Dès la sirène finale, une odeur de cigare est montée dans les tribunes des Vernets. Vraisemblablement un spectateur qui, pris par les émotions du premier sacre servettien et la folie dans cette patinoire, s'est permis quelques libertés. Il sera suivi une bonne demi-heure plus tard par les hockeyeurs grenat encore sur la glace, qui ont donc respecté la tradition.
Parce que oui, l'odeur du cigare, c'est avant tout celle de la victoire. Et les Aigles ont fêté comme il se doit ce titre si attendu dans leur ville.
Femmes, enfants, amis: tous sont descendus dans l'arène partager ce moment d'intenses émotions avec leurs héros. Les fans, sagement restés à leur place, n'en ont pas moins brisé leurs cordes vocales et chauffé méchamment les paumes de leurs mains pour communier avec tout ce petit monde sur la glace. Pas de larmes dans les yeux des Grenat, peut-être à cause du scénario d'un match déjà plié à neuf minutes de son terme, mais une voix tremblante pour certains. Celle de Marco Maurer, par exemple, le colosse de la défense servettienne:
Le numéro 47 des Vernets, avec son accent alémanique à couper au couteau, n'a pas perdu son humour, malgré les émotions. «Gagner ce premier titre avec des Welsches, c'est encore mieux!», sourit le Zougois.
Un peu plus loin, c'est un autre accent qu'on entend sur quelques mots baragouinés en français. Celui, finlandais, de Sami Vatanen, le match-winner avec ses deux buts. «J'essaie de mon mieux, mais les conversations ne durent pas longtemps. Peut-être que ça sera mieux l'année prochaine», rigole-t-il. Même son flegme scandinave ne parvient pas à dissimuler sa fierté et sa joie.
Son compatriote Valtteri Filppula n'a de loin pas soulevé son premier trophée jeudi soir. Le numéro 51 des Vernets est champion olympique, champion du monde et lauréat de la Coupe Stanley (avec Detroit en 2008). Excusez du peu! Mais il n'est pas blasé pour autant. «Que tu gagnes n'importe quel titre, c'est chaque fois quelque chose de spécial», témoigne le vétéran finlandais, 39 ans. Qui a peut-être d'ailleurs eu un peu plus les genoux qui sifflaient ces jours que certains de ses plus jeunes coéquipiers.
Quelques mètres à côté, Daniel Winnik, l'auteur du 3-0, sirote sa Cardinale. A-t-elle bon goût? La réponse fuse: «C'est la meilleure bière de ma vie!» Le Canadien savoure même la mousse, qui n'a pas le temps de rester accrochée à sa grosse moustache. «Je vais la raser dans quelques jours. C'est sûr à 100% que je ne l'aurai pas à la reprise du championnat!», rigole-t-il. Il avoue l'avoir laissée pousser pour les play-offs par superstition. Et ça lui a donc plutôt bien réussi. Mais à l'écouter, il aurait même pu utiliser son rasoir avant ce match, tant il était convaincu de la victoire de son équipe:
Daniel Winnik a une raison particulière de savourer ce sacre. «Il y a deux ans, j'ai pleuré quand on a perdu en finale», confesse-t-il.
A cette question, Henrik Tömmernes est un peu plus nuancé. «C'est dur de dire si c'est le plus beau jour de ma vie, parce que j'ai aussi vécu la naissance de mes deux filles», explique le Suédois. «Je dirais que c'est un sentiment différent, mais bien sûr, c'est l'un des meilleurs que j'ai eus dans ma vie. Avoir ma femme et mes deux filles dans les tribunes pour ce match était spécial.»
Ce moment historique ne lui donne-t-il pas envie de rester à Genève, lui qui a signé à Frölunda pour la saison prochaine?
Marc-Antoine Pouliot, lui, sera toujours Grenat la saison prochaine. Comme ses coéquipiers, il savoure une mousse bien méritée. «Ça faisait longtemps que je l'attendais, celle-là!», lâche-t-il tout sourire.
Reste une question: le Genevois d'adoption osera-t-il retourner ces prochains jours à Bienne, la ville de sa femme et de sa belle-famille? Il répond en rigolant: «Honnêtement je n'ai pas pensé à ça! Je vais prendre le temps de célébrer à Genève avec tout le monde et on verra après.»
Oui, les festivités risquent bien d'être longues dans la cité de Calvin. La Romandie attendait un sacre depuis celui du HC Bienne en 1983. C'est aussi le premier titre pour un club de ce côté-ci de la Sarine dans l'un des deux sports rois du pays (foot et hockey) depuis 1999, 24 ans après le couronnement du Servette FC.
Alors les voisins auront sans doute facilement pardonné le bruit des festivités, qui se sont prolongées dans la nuit sur l'esplanade devant la patinoire.