Ce barrage promotion/relégation ne pouvait pas commencer pire pour le HC Ajoie. Le pensionnaire de National League est mené 2-0 par le champion de Swiss League, La Chaux-de-Fonds. Et ça doit cogiter méchamment dans les têtes jurassiennes.
Michael Ngoy – qui a vécu trois barrages comme hockeyeur (Lausanne en 2005, Fribourg en 2006 et Ambri en 2017) – et Gerd Zenhäusern – coach lors de la montée du LHC en 2013 – racontent ce contexte si particulier et proposent des solutions pour les Ajoulots.
Michael Ngoy, vous avez vécu le même genre de situation que les Ajoulots lors du barrage avec le LHC en 2005. Qu'est-ce qui passe par la tête dans ces moments?
MICHAEL NGOY: On joue forcément la peur au ventre. Pour les Ajoulots, c'est une guerre mentale, pas contre La Chaux-de-Fonds, mais contre eux-mêmes. Ils n'avaient pas de quoi être très mal psychologiquement après la défaite contre Langnau, parce qu'ils sont simplement tombés sur plus forts. En plus, ils avaient plutôt bien réussi leur fin de saison régulière. Mais le premier match du barrage, il ne fallait surtout pas le perdre.
Et un autre enjeu a de quoi crisper encore plus les Ajoulots.
Lequel?
Depuis qu'ils ont perdu contre Langnau, ils parlent forcément entre eux de leur avenir personnel. «Toi, t'es en contact avec ton agent? Tu vas faire quoi si on tombe?». Ce sont les questions que les joueurs se posent entre eux. Dans toutes les équipes qui ont connu la situation d'Ajoie, c'est comme ça. Et seules les jeunes pépites auront une chance de retrouver une place dans un club de National League. Pour les joueurs vieillissants, une relégation signifie dire au revoir pour toujours à l'élite. Et pour ceux de 35 ans ou plus, comme Alain Birbaum par exemple, c'est tout simplement la fin de leur carrière. Les joueurs pensent forcément à ça, et ça ajoute de la crispation.
Il y a quand même la possibilité de jouer en Swiss League.
Oui, mais arrivé à un certain âge, quand tu as une famille, tu n'es plus forcément prêt à t'engager dans une équipe pour seulement 30 ou 40 000 francs de salaire annuel et investir autant d'énergie et de temps pour ne recevoir que ça. Parce que, forcément, si Ajoie tombe, les salaires seront nettement inférieurs la saison prochaine. Et les Jurassiens ne pourront pas miser sur un retour rapide en National League. Ces enjeux, ça devrait te motiver à t'en sortir dans ce barrage mais, en fait, ça te terrorise plus qu'autre chose.
En parlant de terreur, jouer dans une petite patinoire pleine à craquer comme les Mélèzes à La Chaux-de-Fonds, où le public est spécialement proche de la glace, ça peut jouer un rôle.
Oui, ce genre de patinoire, ça peut être l'horreur pour l'adversaire. Il faut absolument ne pas encaisser de but lors des dix premières minutes, sinon le public s'enflamme. Comme il est proche, tu l'entends gueuler, ça motive les adversaires et tu sais que tu vas passer une sale soirée. Ça peut vite tourner au cauchemar. On retrouve cette ambiance à Langnau et Ajoie, par exemple.
Que feriez-vous si vous étiez à la place du coach d'Ajoie, Julien Vauclair?
Comme entraîneur, il faut être un très bon communicateur dans ces moments-là, être capable de redonner confiance à tous ses joueurs. Julien Vauclair a aussi beaucoup de choses à perdre au niveau de son image, mais il doit rester serein, en tout cas en apparence. Il faut un capitaine qui reste calme pour que le navire ne coule pas. Le moindre signe de panique ou de fébrilité se transmet aux joueurs.
Et que diriez-vous à vos joueurs?
Je leur rappellerais qu'ils ont été capables de battre de grosses équipes de National League pendant la saison régulière, comme Zurich par exemple. Et qu'ils sont aussi allés gagner deux fois à Ambri, ou encore qu'ils sont revenus à 2-2 dans la série contre Langnau.
J'ai trouvé aussi très intelligent qu'Ajoie annonce pendant la série quatre prolongations de contrat. Ça envoie un signal, en montrant que le club n'est pas mort et qu'il continue à construire le futur.
Parfois, les entraîneurs ou dirigeants entreprennent des activités pour souder le groupe ou lui faire se vider la tête. Ça vous est arrivé?
Oui, c'est très important.
A Ambri, alors que la situation était très compliquée, le directeur sportif Paolo Duca avait dit une fois au capitaine de prendre 2000 francs dans la caisse d'équipe et d'organiser une sortie en boîte de nuit. On a encore eu deux jours de congé après. C'était important de pouvoir se vider la tête et de sentir que le staff nous soutenait en tentant de trouver des solutions. Dans ces moments, tu as toujours besoin de sentir que quelqu'un plus haut dans la hiérarchie te soutient. C'est la même chose entre un coach et son président.
Quels autres conseils donneriez-vous aux Ajoulots?
Je pense que mettre sur pied une séance de discussion avec toute l'équipe serait une bonne chose, histoire que tous les non-dits sortent. Parler ouvertement, ça soulage.
Et puis, peut-être bien qu'Ajoie reviendra de nulle part. Les Jurassiens ont connu beaucoup de moments difficiles ces deux dernières années, ils se sont peut-être créé une sorte de carapace. Mais s'il y a 3-0, la série sera pliée.
Gerd Zenhäusern, que faut-il faire quand on est dans la situation d'Ajoie?
GERD ZENHAÜSERN: Il faut simplifier le plus possible le jeu. Et notamment en défense: il s'agit d'éviter de prendre des risques. Plutôt que de tenter de relancer proprement avec des passes ou une remontée de puck sur la crosse, on lance celui-ci plus loin. Comme, normalement, l'équipe de National League est habituée à davantage de rythme, cette solution devrait fonctionner. Dans la situation de l'équipe de National League, on ne va pas nécessairement chercher à soigner le jeu, parce qu'on n'a, en principe, pas réussi à le faire le reste de la saison.
C'est-à-dire?
C'est difficile de devenir tout à coup une équipe joueuse alors qu'on a subi toute la saison.
En hockey, chaque équipe a naturellement envie d'avoir la possession du puck, de faire subir l'adversaire. Mais dominer, ce n'est pas faire le jeu, c'est imposer le rythme.
Et que diriez-vous à vos joueurs pour les remobiliser?
Au Lausanne HC, c'était un peu différent parce qu'on était dans la peau du candidat à la montée.
On avait perdu le premier match à Langnau en jouant mal. Alors j'avais rebondi là-dessus en expliquant aux joueurs que cette défaite était uniquement notre faute, qu'elle n'était pas due à la qualité de l'adversaire et que si on corrigeait nos erreurs, ça allait le faire pour la promotion.