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Témoignage watson

En Chine, le ski alpin est synonyme d'ascension sociale

Le ski rime avec ascension sociale en Chine.
La Chine avait tenté de façonner de futurs médaillés d'or en un temps record pour les JO 2022.Image: watson
Témoignage watson

Parents récalcitrants, ascension sociale: un Valaisan raconte le ski en Chine

La Chine avait tenté de façonner de futurs médaillés d'or en un temps record pour les JO 2022. Que reste-t-il comme héritage? Un Romand a lancé une académie de ski sur place et témoigne.
24.10.2023, 18:48
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La Chine n'est de loin pas une nation qui vit et vibre pour les sports d'hiver. Mais le raz-de-marée des JO 2022 ont-ils ouvert de nouveaux horizons et propagé le virus des sports d'hiver? Un événement sportif de cette ampleur peut parfois fonctionner comme un révélateur d'une nouvelle vague de pratiquants.

De passage en Suisse, Yann Bouduban, fondateur d'Helveski, a lancé une académie pour former de jeunes skieurs chinois. Depuis 2018, le Valaisan a accumulé les kilomètres à ski dans le pays asiatique, épaulé par son associé chinois rencontré sur les pentes enneigées helvétiques, pour faire évoluer une poignée de cracks. «Cela fait 4-5 ans que je suis avec les mêmes skieurs. Ils ont entre 13 et 14 ans, certains sont au niveau des bons nationaux ici en Suisse», précise-t-il d'emblée.

«Ici, ça commence à skier fort et dans une dizaine d’années, je pense que plusieurs d'entre eux ne seront pas misérables en Coupe d’Europe. Cela dit, il y a un fossé avec la Coupe du monde»

Basé à Chongli, Yann Bouduban a découvert une culture différente, des personnes qui veulent à tout prix se démarquer pour briller, soulignant cette concurrence à tous les niveaux dans la société chinoise. Selon le natif de Conthey, les parents poussent (beaucoup) et mettent les moyens à disposition pour le rejeton. Ils veulent que «l’enfant sorte du lot afin de pouvoir dire: "mon gamin est fort, il peut être performant›"».

Yann Bouduban, fondateur d'Helveski.
Yann Bouduban s'occupe de jeunes espoirs chinois depuis 2018.

Le ski, un sport tout neuf en Chine

Après les premières familles très riches qui ont pu s'essayer au ski, c'est une autre couche de la société qui arrive avec des ambitions sur les lattes. Dans un pays en pleine expansion en matière de sports d'hiver, la classe moyenne aisée a investi les pistes enneigées (artificiellement). «Actuellement, ce sont de bons fonctionnaires, des professeurs d'université, des financiers qui viennent skier», clarifie Yann Bouduban.

Cette quête du ski de compétition est liée au transfuge de classe. L'idée de passer par le sport pour prendre l'ascenseur social est une puissante motivation pour les enfants (et les parents). Surtout, le ski en Chine est une activité à ses premiers balbutiements et tout reste à faire. «Comme c'est un nouveau sport là-bas, ils veulent rapidement performer. Ils regardent ce qu’ils se passent à l’étranger, se comparent aux Européens», ajoute le fondateur d'Helveski.

«Les Chinois sont très bons pour retenir l'information. C’est pour ça qu’il apprennent si vite: ils cherchent le moindre détail»

De vrais travailleurs, des bosseurs qui veulent percer les mystères de la glisse. «Parfois, ils me demandent quel degré il faut avoir dans un virage», nous confie le Valaisan, avant de nous raconter une anecdote concernant un skieur, la quarantaine, déboulant dans son bureau avec une photo de Mikaela Shiffrin à la main. «Il se demandait quand il pourra atteindre son niveau. Le hic, c'est qu'il n’avait encore jamais mis des skis aux pieds.»

Des parents avec des oeillères

Le Contheysan essaie d'inculquer à ses jeunes protégés le long chemin à parcourir pour devenir un skieur solide. Il parle de parents «qui ont des oeillères».

«Il y a un gros travail de communication à faire pour expliquer pourquoi on n'envoie pas directement leur enfant slalomer entre les piquets, et pour leur faire comprendre que l’apprentissage du haut niveau passe par de la technique en ski libre.»

Bouduban souligne un enjeu majeur: celui de faire comprendre aux géniteurs que le ski alpin est une suite du ski de base et non une discipline totalement distincte.

Charpenter le socle pour mieux régner - ou progresser. Des paroles qui paraissent classiques et compréhensibles. Mais pour les apprentis skieurs chinois, ou plutôt les parents, il a dû s'employer à exposer, déployer les fondamentaux du ski avant de s'attaquer aux piquets et autres compétitions. Sauf que ce cheminement est difficile à inculquer:

«Ce n’est pas toujours très bien reçu»
Yann Bouduban

Le Romand confesse même que plusieurs jeunes ont décampé, «car nous ne faisions pas uniquement des entraînements entre les piquets». Les méthodes divergent et la religion alpine bien helvétique n'est pas la même qu'en Chine. «D’autres équipes locales ont des processus d’entraînement plus radicaux, où les enfants empilent les manches dans les piquets sans jamais faire de la technique de base en libre», éclaire le boss d'Helveski.

La compétition alpine germant gentiment, c'est surtout le ski en lui-même qui a réussi à opérer une étonnante percée au pays du communisme. «Il était autrefois perçu comme une simple attraction, une activité à essayer pour s'amuser le temps d'une sortie.»

Un nouvel allant pour le ski à l'étranger

Pour ce faire, les stations de ski se sont dotées d'un système de location de matériel bien organisé, permettant aux visiteurs de s'équiper directement sur place. De nouvelles perspectives qui ont dessiné une nouvelle tendance: de plus en plus de personnes pratiquent désormais ce sport de manière régulière, se muant en véritables passionnés.

Plus étonnant encore, voire improbable, cette évolution rapide laisse apparaître une clientèle chinoise enthousiaste à l'idée de voyager à l'étranger. Un nombre croissant de skieurs issus du géant asiatique se tourne maintenant vers les stations de ski occidentales pour découvrir de nouveaux eldorados. Verbier, par exemple, a scellé un partenariat avec une station chinoise. La société Téléverbier nous confirme que «le partenariat est toujours d’actualité, mais avec très peu de retours.»

Une culture ski qui se développe à une vitesse affolante

Les contacts sont parfois difficiles, mais la tendance pour les sports d'hiver est marquée en Chine. Une aubaine pour Yann Bouduban, malgré les divergences culturelles: «C’est un projet qui m’attirait, j'avais envie de me frotter à un nouvel environnement. Je venais avec une culture que je pensais pouvoir injecter dans une autre culture», décrit l'ancien compétiteur de 31 ans.

Si les prédictions voulues par Xi Jinping sont loin d'être approchées - 300 millions d'adeptes désirés -, les nouveaux amoureux de la glisse continuent à se multiplier sur les bandes blanches qui se dessinent dans les montagnes asiatiques. «Une étude indépendante confirmait 15 millions de pratiquants au pays. Il faudra attendre l’année prochaine pour savoir si l’engouement a bel et bien pris. Le Covid a considérablement freiné l’expansion des sports d'hiver.»

«Les effets de l'après JO sont bien plus marqués que ce que je pensais. L'engouement est grand pour le ski ou le freestyle, dans le sillage d'Eileen Gu»
Yann Bouduban
epa09767997 Ailing Eileen Gu of China in action on her final run during the the Women's Freestyle Skiing Halfpipe final at the Zhangjiakou Genting Snow Park at the Beijing 2022 Olympic Games, Bei ...
Eileen Gu est une skieuse acrobatique sino-américaine, concourant pour la Chine. Aux Jeux de Pékin, elle a décroché l'or en Big Air et en half-pipe ainsi que l'argent en slopestyle.Image: EPA

Pékin met les bouchées doubles pour rapatrier un maximum de futurs skieurs et snowboardeurs dans les stations. Et les moyens pour y parvenir sont nombreux, comme la mise en place d'un train à grande vitesse qui participe à cette passion grandissante: «Vous êtes dans une station en une heure avec ce train. Les clients arrivent dans la région de Chongli, là même où se trouve la station très fréquentée de Foulong. Après, des bus vous emmènent à Secret Garden, Thaiwoo et Wanlong.»

L'afflux de skieurs n'est pas aussi florissant pour la station qui a accueilli les épreuves olympiques. «Yanqing est moins populaire, parce que la station se trouve loin de tout.»

A ski run lined with artificial snow is seen at the National Alpine Skiing Center in Yanqing on the outskirts of Beijing, Feb. 5, 2021. The high demand for artificial snow at February's Beijing W ...
Le grand ruban blanc de Yanqing qui accueilli les épreuves masculines de ski alpin. Image: AP

Il faudra encore attendre quelques années pour savoir si le ski alpin a trouvé une masse de fans considérable dans l'un des pays les plus peuplés du monde, et si l'édition olympique de 2022 a fait naître une nouvelle génération de cracks des montagnes.

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