Le négoce en matières premières ne connaît pas la crise, telle est la conclusion d'une enquête menée par l'ONG Public Eye.
Pendant que la guerre en Ukraine plonge une partie du monde dans la peur d'une pénurie énergétique, et que la précarité ne fait qu'augmenter en raison d'une flambée des prix de l'alimentation, certains secteurs se frottent les mains. Notamment les vendeurs de pétrole, de gaz, de charbon, de blé ou de maïs, lesquels profitent directement de la hausse de la demande - et celle des prix - sur le secteur des matières premières.
Un certain nombre de ces sociétés ont engrangé des bénéfices records depuis la pandémie. Or, elles sont pilotées depuis la Suisse, dénonce l'ONG Lausannoise. Les «soft commodities» - les produits agricoles tels que le blé ou le maïs, sont particulièrement touchées par le phénomène.
Le géant américain de la transformation des produits agricoles Archer Daniels Midland (ADM), dont le centre européen est installé à Rolle (VD), a enregistré en 2021 ses bénéfices les plus importants en «près de 120 ans d’histoire».
Au début de la pandémie du Covid-19, la volatilité du marché s'est accrue, provoquant des pertes pour une partie des groupes. Mais ces derniers, à l'instar du «Genevois» Bunge, ont pu les compenser - et même avantageusement - en 2021. La pente ascendante s'est en outre renforcée à l'entame du premier semestre 2022.
Le cocktail gagnant pour prospérer en temps de crises successives? La Louis Dreyfus Company (LDC), domiciliée à Genève, ébauche quelques hypothèses pour expliquer ses brillants résultats sur l'année écoulée:
Les grandes gagnantes de la crise sanitaire et de la guerre restent les matières énergétiques. Vitol, l'une des principales sociétés de trading pétrolier au monde domiciliée à Genève, a enregistré des résultats records, avec 4,5 milliards de dollars au premier semestre 2022, contre 4,2 milliards sur toute l’année 2021.
Trafigura, dont le pôle international de négoce est assis dans la Cité de Calvin, a pu dégager en 2021 des bénéfices en hausse de 230 % par rapport à leur moyenne avant la pandémie.
Et d'après le Financial Times, c'est Glencore, basé dans le canton de Zoug, qui reçoit la couronne du plus grand gagnant «des perturbations causées par la guerre en Ukraine sur les marchés des matières premières». Ces résultats sont notamment dus à l'exploitation du charbon - une industrie «climaticide» selon Public Eye - qui participerait, selon estimations, à hauteur de 50% du total des bénéfices de la multinationale.
Comment font les négociants pour être aussi résilients face aux crises et aux violentes fluctuations du marché qui en découlent? Pour Public Eye, c'est entre autres grâce à:
Malgré le fait que la Suisse est une plaque tournante pour le commerce des matières premières, peu de chiffres sont publiés: il s'agit en effet d'un «commerce de transit». Les échanges sont organisés depuis le territoire helvétique, mais les marchandises ne sont pas importées sur place, ni exportées depuis le pays, et n'apparaissent donc pas dans les statistiques douanières.
Face à ce trou dans les données, Public Eye pointe du doigt le niveau fédéral, lequel serait peu enclin à forcer les multinationales à dévoiler leurs chiffres en toute transparence. Pourtant, selon des estimations articulées par l'ONG:
L'opacité des données ne permet pas de mettre en lumière d'éventuels cas de corruption, de blanchiment d’argent ou d'avantages fiscaux irraisonnés, indique encore l'ONG. Il serait en outre impossible d'assurer un suivi des sanctions auprès des multinationales, ou encore de leur faire respecter des standards liés au climat ou aux droits humanitaires.
Difficile en outre de déceler à qui profite exactement cette manne financière: