Suisse
Alcool

Les politiques suisses et l'alcool, le mélange de trop?

De gauche a droite, la conseillere d'Etat vaudoise Nuria Gorrite, la conseillere d'etat vaudoise Christelle Luisier, le conseiller federal Ignazio Cassis et le president de la Confederation  ...
Alcool et politique font-ils bon ménage? Témoignages de trois politiques romands.Image: KEYSTONE

«Des jours, il peut y avoir 3 apéros»: politique et alcool en Suisse

Un retrait de permis pour cause d'alcoolémie élevée pour un conseiller d'Etat fribourgeois, un séjour pour soigner un problème d'addiction pour le maire d'une commune jurassienne, la consommation d'alcool des élus est-elle problématique? Témoignages.
02.01.2024, 18:5402.01.2024, 23:20
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«Durant les fêtes de fin d'année, vous entrez dans un long tunnel, Mme Ruefli» me lance Cédric Jotterand, directeur et rédacteur en chef du Journal de Morges, d'un air taquin. Le tunnel, c'est la consommation d'alcool des élus locaux qui entrent, selon le journaliste, dans une période intensive.

«Quand vous faites le tour des comptoirs, comme celui de Cossonay, c'est un exploit d'être en dessous de 0,5‰»
Cédric Jotterand, directeur et rédacteur en chef du Journal de Morges

Avec les apéros de fin d'année des conseils communaux, ceux des sociétés locales, les comptoirs et les marchés de Noël, les élus sont très sollicités et les verres offerts par «le patron»...sont légions. Mais faut-il en déduire pour autant que la consommation d'alcool est inévitable, voire inhérente à la fonction de politique? Témoignages d'élus et analyse d'un fin connaisseur de la politique locale.

Un agenda chargé

«Quand j'ai commencé la politique, il y a quinze ans, j'ai participé à une verrée où il n'y avait pas de boissons sans alcool», explique Murielle Macchi-Berdat, conseillère communale à Delémont. La Jurassienne récemment interviewée par le Quotidien jurassien sur la consommation d'alcool des élus répond de manière franche et directe à nos questions.

«Selon les journées, il peut y avoir trois apéros, sans compter le vin servi à table durant les repas. Cette consommation peut devenir problématique»
Murielle Macchi-Berdat, conseillère communale (PS/JU) à Delémont
Murielle Bacchi-Berdat, conseillère communale à Delémont (JU)
Murielle Bacchi-Berdat, conseillère communale à Delémont (JU)delemont.ch

L'agenda d'un politique est-il vraiment agrémenté de nombreux apéritifs? Pour en avoir le cœur net, nous demandons à la conseillère communale jurassienne un exemple d'une journée «type».

  • 9h première séance
  • 10h conférence de presse avec les journalistes
  • 10h30-11h apéritif avec les journalistes🍷
  • 12h repas, avec verre de blanc à l'apéro et vin de table🍷
  • 12h30 si un invité extérieur est présent, on offre un digestif (et voilà la Damassine)🥃
  • 13h30 retour en séance
  • 18h fin de journée, apéritif entre collègues🥂

C'est pas un peu exagéré tout ça? «Totalement »nous répond Murielle Macchi-Berdat dont la profession d'ergothérapeute ne laisse pas de place à ce type de consommation.

«Aujourd'hui, vous avez toujours le choix de prendre des boissons non alcoolisées, mais face aux incitations, il faut savoir expliquer les raisons de votre refus»
Murielle Macchi-Berdat, conseillère communale à Delémont

Même son de cloche du côté de la Berne fédérale, où la question de la consommation d'alcool «est tout à fait légitime» répond la conseillère nationale fribourgeoise Valérie Piller Carrard (PS).

«Lors des sessions parlementaires, nous avons chaque jour l'occasion de boire de l'alcool »
Valérie Piller Carrard, conseillère nationale (PS/FR)
Valerie Piller Carrard, Nationalraetin SP-FR, portraitiert am 10. Dezember 2019 in Bern. (KEYSTONE/Alessandro della Valle)
Valérie Piller Carrard, conseillère nationale (PS/FR)Image: KEYSTONE

La conseillère nationale a donc décidé, en 2019, d'éviter de consommer chaque jour de l'alcool durant les sessions. Mais son agenda est-il aussi chargé en apéro que celui d'une municipale? La question la fait sourire et elle n'hésite pas à lever le voile sur le programme des parlementaires de la session d'hiver avec, comme particularité, le renouvellement des deux chambres.

«Fin 2023, nous avons élu le président du Conseil national, il y a donc un apéritif, puis c'est au tour de l'élection du président du Conseil des Etats suivi d'un autre apéritif. Cette année il y avait aussi l'élection du nouveau ou d'une nouvelle conseillère fédérale, suivie d'une réception, sans compter les repas de Noël de chaque groupe parlementaire.»
Valérie Piller Carrard, conseillère nationale (PS/FR)

«Mais on ne fait pas que ça, on travaille quand même entre deux» nous fait remarquer la conseillère nationale d'un air complice. Loin de vouloir donner une image désinvolte de nos politiques, Valérie Piller Carrard nous rassure: elle n'a jamais vu de collègues «dans des situations délicates», mais confirme que «chacun doit connaître ses propres limites».

Des ados comme les autres

Vous l'aurez compris, la consommation de boissons alcoolisées chez les politiques est une pratique généralisée et ce n'est pas Cédric Jotterand, le directeur du Journal de Morges qui dira le contraire: «Chez nous, tout se passe autour d'un verre de vin et les politiques n'y échappent pas». Le journaliste relève toutefois une exception.

«Je connais un municipal qui ne boit pas, mais il arrive à 'pèdzer'* durant les soirées en partant toujours en dernier, ce qui est une qualité dans ce milieu.»
Cédric Joterrand, directeur du Journal de Morges

Pèdzer, soit rester coller à la conversation, c'est bien ce que les citoyens attendent de leurs élus confirme Philippe Leuba, ancien conseiller d'Etat vaudois PLR de 2007 à 2022.

«L'important c'est de rester discuter avec les gens et non de boire de l'alcool. Les remarques négatives fusent quand les politiques filent à l'anglaise»
Philippe Leuba, ancien conseiller d'Etat vaudois

Mais boire de l'alcool est-il une condition pour faire avancer les dossiers? A Berne, la conseillère nationale fribourgeoise Valérie Piller Carrard ne croit pas que cela ait une quelconque influence sur les échanges entre paires tandis que du côté jurassien, Murielle Bacchi-Berdat constate que «les compromis et les dossiers avancent durant les apéros», mais qu'il ne faudrait pour autant pas les lier à la consommation d'alcool. «On n'est pas obligé de boire pour se montrer convivial» note-t-elle. Cette remarque nous fait sourire, les politiques seraient-ils des ados comme les autres, en subissant l'influence du groupe? «Peut-être», sourit la conseillère municipale au bout du fil, elle poursuit:

«La consommation d'alcool a peut-être aussi diminué avec l'arrivée des femmes en politique. Elles sont physiologiquement différentes, notamment de par leur poids, elles tiennent moins l'alcool et sont aussi plus vulnérables dans ces situations. Cela nous a contraint à mettre en place des stratégies pour moins consommer et nous sommes aussi plus critiques sur cette question.»
Murielle Macchi-Berdat, conseillère communale à Delémont

Le verre toujours plein

Vous l'aurez compris, réussir sa carrière politique n'est de fait pas lié à sa consommation d'alcool (encore heureux), mais plutôt à l'image positive qui se dégage de ces moments conviviaux comme les verrées ou les apéritifs suite aux séances de travail. Le véritable enjeu serait donc de ne pas assimiler la convivialité au verre de blanc, pour cela, il manque encore de nombreuses alternatives au fameux «jus d'orange-chips» proposé depuis des décennies selon Murielle Macchi-Berdat.

«L'arrivée des femmes en politique, l'influence de la nouvelle génération qui propose plus de mets sans viande, tout cela participe à une évolution de notre consommation et se reflète aussi dans nos apéros.»
Murielle Macchi-Berdat, conseillère communale à Delémont

A la conseillère municipale de conclure qu'après son intervention dans l'article du Quotidien jurassien sur la consommation d'alcool des élus, des hommes politiques sont venus la voir pour parler de leur vécu et «partager» leur tactique.

«Ils m'ont dit qu'ils avaient leur stratégie pour consommer moins d'alcool, dont celui de garder toujours leur verre plein et de faire croire qu'ils ont été resservis»
Murielle Macchi-Berdat, conseillère communale à Delémont

Ces stratégies d'évitement sont rarement divulguées et assumées par les hommes, à croire que l'image du politique consommateur d'alcool et bon vivant a encore de beaux jours devant elle.

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