En Suisse romande, des membres des Verts quittent le parti parce qu'ils estiment qu'il n'est pas – ou plus – assez ouvert, assez démocratique. Une impossibilité de débat interne sur certains sujets, une immixtion dans la vie privée, une pression «woke»... Alors, conflit de générations? Tracas ordinaires gonflés artificiellement? Mouvement de fond?
A Genève, un amendement accepté le samedi 21 mai par les délégués de la formation cantonale demandait à ce que leurs élus ne mangent pas de viande lors de repas officiels, comme l'a relaté Le Temps. Le vote ayant beaucoup divisé le parti, le texte sera revoté à la prochaine assemblée. Mais le mal est fait. La division est plus saillante que jamais. Dans Le Temps, Christian Bavarel, député démissionnaire, a lâché une bombe:
Comment expliquer que l'amendement en question suscite tant d'émotion? Après tout, il n'est pas surprenant qu'un parti veuille montrer l'exemple, en faisant ce qu'il voudrait que tout le monde fasse. Joint par watson, le conseiller national neuchâtelois Fabien Fivaz, vice-président du groupe des Verts au Parlement, estime par exemple qu'il faut vivre l'écologie, pas seulement la clamer.
«Le problème, c’est quand on entre dans la vie des gens», commente l'historien et juriste Olivier Meuwly, membre du PLR. Pour lui, l'amendement genevois sur l'interdiction de manger de la viande lors de repas officiels ne tombe pas du ciel. «C'est un effet de la contradiction qui caractérise ce parti, entre un individualisme forcené et la tentation romantique de tout régenter», estime le spécialiste des partis politiques. «A chaque fois on dit "ils n’oseront pas", mais si, ces mouvements osent toujours.»
Le conseiller national socialiste vaudois Samuel Bendahan assume également une différence de vues très forte sur la logique de la criminalisation individuelle: «J’ai la conviction profonde que si on veut opérer des changements de société, on ne doit pas faire porter la responsabilité à quelques personnes qui doivent faire des sacrifices, mais faire en sorte que cela devienne un projet politique qui aboutisse et qui s'applique à tout le monde». L’image d’un politicien devant être parfaite, ce n’est pas sa vision de la politique.
Cependant, loin de lui l'idée de jeter la pierre aux cousins écologistes: «Un parti comme les Verts, qui est en croissance, connaît forcément ce genre de situations: plus on est nombreux, plus on a de différences de point de vue. L'une des forces d'un parti, c'est de savoir les gérer. Au PS, on connaît ça aussi. Je trouve que nous l'avons extrêmement bien fait avec notre texte sur l’Europe, qui est une synthèse de différents points de vue». Cela rejoint l'avis de Fabien Fivaz, qui pour sa part ne voit pas cet amendement comme un problème:
Christian Bavarel, qui a démissionné du Grand Conseil mais reste membre des Verts, nous explique que ses collègues ayant quitté le parti – pour aller chez les Vert'libéraux ou nulle part – l'ont fait avant la polémique. C'est que cet épisode, selon lui, est révélateur d'un mouvement de fond qui a d'ores et déjà changé l'identité idéologique du parti et qui est désormais majoritaire en son sein (l'exemple de l'amendement sur la viande le montre):
«Les thèmes évoluent parce que l’urgence s’accentue», analyse de son côté Fabien Fivaz. «Quand je suis arrivé chez les Verts, tout le monde avait une voiture. Maintenant, c’est de moins en moins le cas. Mais il y a une génération qui n’a peut-être pas encore intégré l'urgence climatique. Du reste, si je quittais le parti à chaque fois que je suis minoritaire, j’arrêterais la politique. En démocratie, il faut savoir perdre.» Pour autant, il émet une nuance: «Les majorités de circonstance, ce n’est pas bon non plus pour les débats internes».
Mais Christian Bavarel n'en démord pas: bien au-delà de ce vote cantonal, il observe un phénomène de société qui parcourt «au moins tous les partis de gauche» et qui porte des valeurs étrangères à ce en quoi il croit. Surtout, il souhaite pouvoir débattre de tout. «Ce qu’on avance par exemple sur les techniques de l'environnement – en plus c'est mon métier – n’est plus entendu, parce qu’on est des mâles boomers cisgenres.» Citant les activistes ayant empêché dernièrement la tenue de conférences à l'Université de Genève (Unige), il assure croiser les mêmes dans ses rangs.