Genève, c’est New York comme à la télé: ses cops, son proc, ses banquiers, ses scandales master class, ses élections au canon. Celles de dimanche sont d’un très gros calibre. Un bon vieux gauche-droite, mais façon choucroute garnie qui dégénère. On vote pour élire le Conseil d’Etat, un second tour qui rebat le premier du 2 avril. Les sept sièges du gouvernement cantonal sont à pourvoir.
Le suspense est à son maximum. La raison? La présence de deux candidats sentant le soufre: Pierre Maudet, de retour en compète après deux années de purgatoire assorties d’une condamnation au pénal, et Philippe Morel, grand patron des blocs opératoires, auquel notre confrère Heidi.news a trouvé un cadavre planqué dans la chambre froide (c’est une image).
A l’approche du dénouement, watson fait un dernier tour dans les cuisines du scrutin majeur de la vie politique genevoise.
L’Alliance genevoise, alias la droite, veut absolument récupérer la majorité envolée en mars 2021 lors d’une élection complémentaire, perdue par Pierre Maudet, alors en disgrâce du PLR, gagnée par la Verte Fabienne Fischer. Elle propose un ticket de cinq candidats: Nathalie Fontanet (PLR), Anne Hiltpold (PLR), Philippe Morel (MCG), Delphine Bachmann (Le Centre) et Lionel Dugerdil (UDC), par ordre d’arrivée au premier tour.
«Si la droite gagne, elle mettra en œuvre son programme, pour l’essentiel axé sur des baisses d’impôts, de façon, dit-elle, à redonner du pouvoir d’achat à la classe moyenne», note Pascal Sciarini, professeur de science politique à l’Université de Genève (Unige).
En cas de victoire, l’Alliance genevoise pourra compter sur un Grand Conseil comme elle à majorité de droite.
Le président du Parti socialiste genevois, Thomas Wenger, confirme: «Le système politique suisse, c’est un ménage à trois: le gouvernement, le parlement et le peuple. Nous lancerons des référendums face à des politiques de baisses d’impôts qui nuisent à l’égalité entre les Genevois. Nous ferons pareil avec une réforme de l’école que nous jugerions inique.» Pascal Sciarini prévient:
Membre du comité directeur du PLR, Mohamed Atiek détaille trois points du programme, sinon de l’Alliance, du moins de son parti, décrits comme «une différence fondamentale entre la droite et la gauche»:
Mohamed Atiek veut une victoire de son camp dimanche. «Même si la fabrication des lois est du ressort du Grand Conseil, être majoritaire au Conseil d’Etat permet d’initier des projets et de les travailler avec le concours de l’administration», dit-il. Un précieux avantage.
«Nos quatre candidats, dont trois sortants, se classent parmi les sept arrivés en tête au premier tour, en position d’élus majoritaires», tient à rappeler Thomas Wenger. Dans l’ordre: Thierry Apothéloz (PS), Antonio Hodgers (Les Vert.e.s), Fabienne Fischer (Les Vert.e.s) et Carole-Anne Kast (PS). Mais pour la gauche, un handicap se répète et même s’amplifie au vu de l'avance très nette obtenue par la droite le 2 avril au Grand Conseil: en cas de victoire dimanche à l'exécutif, la gauche devra composer avec un parlement adverse au deux tiers. Une cohabitation s’engagera alors.
«Majoritaire au gouvernement, la gauche devra plus que jamais gouverner au centre, bâtir des compromis avec un Grand Conseil a priori hostile», relève Pascal Sciarini. Thomas Wenger ne dit pas le contraire et semble relever le défi:
En plus du pouvoir d’achat, la gauche a mis en grand dans son programme la transition écologique. Contrairement à la droite, elle est opposée au projet pharaonique de la traversée du lac. Thomas Wenger prédit: «Quand la droite verra que le devis se monte à cinq milliards de francs, elle hésitera.»
Sixième du premier tour, à 88 voix seulement de la cinquième, Fabienne Fischer, qui l’avait battu en 2021 lors de l’élection complémentaire au gouvernement cantonal, Pierre Maudet a de réelles chances d’être élu dimanche. Sa campagne de terrain, à l’écart de l'attention médiatique, est jugée efficace. Il rassure, il convainc, il suscite l'adhésion avec un programme qui se veut au plus près des besoins des citoyens. Son élection, ou réélection, après sa démission forcée du Conseil d’Etat, conséquence de son voyage en famille tous frais payés à Abu Dhabi en 2015, n’en serait pas moins une déflagration dans le ciel de la rade.
Pascal Sciarini pose le décor:
Sur un plan idéologique, Pierre Maudet est un politique de centre droit, affirme Pascal Sciarini. Quand bien même l’«opération Papyrus», un processus de régularisation de sans-papiers qu’il avait lancé en 2017, épouse des marqueurs de gauche.
«N’en faites pas dans les médias un allié de la gauche!», supplie Thomas Wenger. «C’est un élu genevois depuis quinze ans», appuie-t-il, comme pour signifier qu'à 45 ans, Pierre Maudet est un vieux dinosaure, «de la droite», bien sûr.
Il ne faut pas qu’on puisse penser, martèle Wenger, que Pierre Maudet pourrait être l'homme de l’appoint à gauche, si seuls trois candidats de ce camp-là étaient élus dimanche.
Pascal Sciarini l'assure: «Les révélations d’Heidi.news concernant Philippe Morel ne devraient pas être préjudiciables au candidat du MCG, mais il n’a pas pour autant partie gagnée.» Le site genevois écrit que le chirurgien a pratiqué en 2006 une greffe du foie sur un patient émirati, alors qu’un autre receveur, mort peu après, était prioritaire. Philippe Morel, huitième du premier tour, à une marche du Conseil d’Etat, dément.
Ce serait la première fois qu’un UDC serait élu au Conseil d’Etat genevois. Mais une fois de plus, le train pourrait lui passer sous le nez. Sur les cinq candidats de l’Alliance genevoise, l’UDC Lionel Dugerdil, onzième du premier tour, est celui qui a le moins de chances d’être élu, selon les avis recueillis. Un membre de son parti compte sur un «miracle». Pascal Sciarini pense que «Lionel Dugerdil, un viticulteur, fera de bons scores dans les campagnes, mais que les voix se raréfieront dans les villes, où le côté blochérien de l’UDC genevoise passe moins bien, voire pas du tout».
Pour Vincent Schaller, élu municipal UDC à la Ville de Genève:
Reste la centriste Delphine Bachmann, celle dont la présence à l’élection complémentaire de 2021 au gouvernement a peut-être coûté la victoire à Pierre Maudet. Des deux candidats présentés au premier tour par son parti Le Centre, elle est la mieux placée, au neuvième rang. Ses chances d’être élue dimanche sont jugées plus élevées que celles de l’UDC Dugerdil. Mais elle fait face à la fronde d’une partie de la droite, au PLR comme à l’UDC, qui reproche au Centre de voter comme la gauche sur les questions sociétales. Ils appellent à ne pas cocher le nom de Delphine Bachmann sur le bulletin de vote, et ce, au profit de Pierre Maudet. La non-élection de la centriste serait un gros revers pour l’ex-Parti démocrate-chrétien, genevois à part entière dans le canton de la Réforme.