Thomas Hurter, capitaine à l’armée et pilote de ligne dans le civil, avait sa petite idée mais il voulait en avoir le cœur net. Pourfendeur du service civil dans sa forme actuelle, le conseiller national UDC schaffhousois souhaitait connaître le nombre exact de soldats abandonnant l’armée après l’école de recrues pour rejoindre les rangs des civilistes. Il avait sollicité le Conseil fédéral à ce propos dans une interpellation déposée le 16 mars dernier.
Celui-ci vient de lui répondre: en 2021, 1978 militaires sont passés au service civil après l'école de recrues. Ce qui correspond à un peu moins d’un dixième du nombre de recrues cette année-là. Dans sa réponse datée du 18 mai, le Conseil fédéral estime à 69 millions de francs la somme dépensée pour la formation de ces près de 2000 recrues. De l’argent perdu, étant donné le changement d’affectation opéré.
Cette interpellation fait partie de l’offensive lancée par l’UDC contre un service civil jugé trop attractif par le parti conservateur et son «007» Thomas Hurter. Quinze jours plus tôt, en mars toujours, il déposait une motion demandant une réforme de la loi sur le service civil (LSC), de manière à en durcir les conditions y donnant droit. Le Conseil fédéral s’empressait de l’approuver, le 27 avril déjà, ouvrant un boulevard à la voie législative, l’affaire du parlement fédéral.
Chacun semble y trouver son compte:
Résultat: le nombre de civilistes n’a fait que croître, passant d’environ 1500 à plus de 5000 par an. Les effectifs atteindraient aujourd’hui la moitié de ceux, théoriques, de l’armée. Soit 50 000 pour 100 000.
Le Conseil fédéral comme l’armée, qui affirme de son côté manquer de personnel formé au combat, sont d’accord avec cet ordre de grandeur de 20 000 hommes manquants.
L’UDC entend donc rendre le service civil moins attractif. Cet objectif aurait pu être atteint en 2020 déjà, au parlement, mais la révision de la LSC, soutenue par la droite, avait échoué de peu à cause de l’ex-Parti démocrate-chrétien (devenu Le Centre), qui s’était abstenu au moment du vote. «A la demande de la cheffe du Département fédéral de la défense, Viola Amherd, une PDC, qui ne voulait pas inquiéter la population avec une réforme du service civil, alors qu’approchait le vote crucial sur l’acquisition de 36 nouveaux avions de combat», croit savoir Thomas Hurter.
Dans sa motion, adoubée sans réserve par le Conseil fédéral, l’UDC multiplie les coups de canif au service civil instauré en 1996 et dont la durée est une fois et demie supérieure à celle du service militaire (368 jours contre 245). Voici quelques-unes des restrictions envisagées :
Coprésident de la Fédération suisse pour le service civil (Civiva), le conseiller national vert neuchâtelois Fabien Fivaz, qui siège avec Thomas Hurter dans la commission de politique de sécurité de la Chambre basse, s’opposera dès la session d’été du parlement, en juin, à la motion de l’UDC:
Le Neuchâtelois tentera de convaincre des élus PDC-Le Centre de le suivre dans sa démarche. Comme en 2020.
A l’époque, la gauche avait prévu de lancer un référendum si d'aventure la révision de la LSC avait été votée par le parlement, ce qui, finalement, n'avait pas été le cas. «Si le parlement devait approuver la présente mouture, après passage au National puis aux Etats, nous lancerions, c’est certain, un référendum», prévient Fabien Fivaz.
L’élu écologiste, lui-même un civiliste, avait passé l’examen de conscience «il y a 20 ans», avant que la démarche ne devienne purement déclarative. «J’avais dû dire que j’avais un problème de conscience, devant une commission réunie à Thoune», se souvient-il.
Le conseiller national neuchâtelois croit aux vertus du service civil, un «engagement pour la collectivité, qui s’est révélé ô combien précieux durant la pandémie de Covid-19 et qui s’avère très utile dans la prise en charge des réfugiés ukrainiens».
Si la guerre en Ukraine, faisant craindre pour les capacités de défense de la Suisse, peut plaider en faveur d’un durcissement de la loi sur le service civil, le Conseil fédéral, dans sa réponse à l’interpellation de Thomas Hurter, doute du caractère politiquement acceptable de la réintroduction de l’examen du conflit de conscience, abrogé en 2008.