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Agriculture suisse: pourquoi l'UDC se trompe

Selon le conseiller national UDC Marcel Dettling, il y aurait trop de prairies fleuries en Suisse.
Selon le conseiller national UDC Marcel Dettling, il y aurait trop de prairies fleuries en Suisse. image: Shutterstock
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Plus de terres agricoles, moins de biodiversité? Pourquoi l'UDC se trompe

Les conseillers nationaux UDC Esther Friedli et Marcel Dettling prévoient de lancer une nouvelle initiative demandant plus de terres arables, pour plus d'auto-suffisance alimentaire. Mais cela nuirait à la biodiversité, donc à l'autosuffisance...
03.09.2022, 07:5703.09.2022, 11:56
Dennis Frasch
Dennis Frasch
Dennis Frasch
Plus de «Suisse»

L'agriculture suisse ne cesse de revenir sur le devant de la scène politique. Les bulletins de vote pour l'initiative sur l'élevage intensif ne sont même pas encore remplis que la prochaine initiative populaire se profile déjà à l'horizon. Cette fois, c'est l'UDC qui en est l'auteur.

Qui, a l'UDC? Les conseillers nationaux UDC Marcel Dettling et Esther Friedli. Dans la ferme de Dettling dans le canton de Schwytz, le duo a annoncé vouloir lancer cette année encore l'«initiative des paysans». Leur objectif: augmenter le taux d'auto-approvisionnement en Suisse à 60% net.

Le duo Friedli-Dettling justifie sa démarche par la guerre en Ukraine et les incertitudes qui en résultent sur le marché alimentaire.

«La guerre en Ukraine nous fait prendre conscience de l'importance de l'autosuffisance»
Esther Friedli

La Suisse irait plutôt dans la direction opposée à celle souhaitée par notre duo. A partir de 2024, au moins 3,5% des terres arables devront avoir été transformées en surfaces de promotion de la biodiversité.

«On ne peut quand même pas accepter qu'un paysan gagne plus en comptant les papillons plutôt qu'en produisant des aliments»
Marcel Dettling

Le plan de l'UDC prévoit de convertir davantage de surfaces en terres arables. Cette idée devrait être bien accueillie par de nombreux agriculteurs. Le directeur de l'Union suisse des paysans (USP), Martin Rufer, s'est déjà exprimé de manière très critique à l'égard des nouvelles surfaces de promotion de la biodiversité.

Mais le «plan» Friedli-Dettling est-il réaliste?

La dépendance suisse

Examinons les données essentielles: en 2020, le taux d'autosuffisance brut de la Suisse était de 56%. Si l'on tient compte de l'alimentation animale importée pour la production nationale, on obtient un taux d'autosuffisance net de 49%. Or, l'UDC réclame 60%. Pour parvenir à une augmentation de 11%, les agriculteurs locaux devraient produire près d'un quart en plus. Nous verrons plus tard si cela est réaliste.

Il faut tout d'abord se demander pourquoi la Suisse est si dépendante sur le plan des importations de denrées alimentaires. Un coup d'œil sur les différentes catégories montre que les besoins en aliments d'origine animale peuvent être presque entièrement couverts par la production nationale. Ce sont surtout les produits végétaux qui sont importés.

Cela s'explique d'une part par le fait que des aliments comme les kiwis, le café, le cacao et autres ne peuvent pas être cultivés en Suisse. D'autre part, les détaillants vendent aussi des courgettes et des poivrons en hiver. Or, la plupart des fruits et légumes produits dans notre pays ne sont disponibles que pendant les mois d'été.

En revanche, la viande, le lait et les œufs peuvent être produits toute l'année. Malgré cela, le taux d'autosuffisance en denrées alimentaires animales de 97% est trompeur. En effet, les animaux – en premier lieu les porcs et les poules – se nourrissent d'aliments importés. La part des denrées alimentaires animales produites avec des fourrages indigènes n'est que de 74%.

Le fourrage destiné aux porcs et aux poules prend beaucoup de place: en 2020, plus de 55% des céréales cultivées en Suisse ont été utilisées pour la production de fourrage. Au total, 43% de l'ensemble des terres arables suisses sont consacrés à la culture fourragère. En d'autres termes, le taux d'autosuffisance en matière d'aliments végétaux pourrait être substantiellement plus élevé si les terres arables n'étaient pas utilisées pour la production alimentaire animale.

Le degré d'autosuffisance de notre pays est donc le résultat d'une hiérarchisation des priorités: les terres arables suisses sont en grande partie utilisées pour la production d'aliments pour animaux. La disponibilité de produits exotiques tout au long de l'année fait encore baisser le taux d'autosuffisance.

La liste des dépendances est encore plus longue: les semences, les engrais, le carburant et les produits phytosanitaires proviennent presque à 100% de l'étranger. Sans les ouvriers agricoles et les moissonneurs d'Europe de l'Est, la production ne pourrait pas non plus être maintenue. Ou comme l'a dit Christoph Hofer, directeur de l'Office fédéral de l'agriculture (Ofag), à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ):

«Nous serons toujours dépendants de l'étranger»
Christoph Hofer, directeur de l'Office fédéral de l'agriculture

Fort de cette sentence, voyons si oui ou non les propositions de l'UDC sont réalistes.

Un taux d'autosuffisance de 60% est-il réaliste?

Marcel Dettling est sûr de lui. Selon lui, un taux d'autosuffisance de 60% est tout à fait possible «si l'on augmente les incitations à produire plutôt qu'à ne rien faire».

Marcel Dettling
Marcel Dettling, conseiller national UDC.image: zvg

Augmenter le taux d'autosuffisance à 60% ne serait effectivement pas une tâche herculéenne. Et ce, en passant à une alimentation davantage basée sur les plantes. Il faudrait réduire drastiquement le nombre de poulets et de porcs, et les vaches pourraient paître sur des pâturages peu propices à l'agriculture.

Si l'on suit ce principe jusqu'au bout, on pourrait également atteindre un taux d'autosuffisance de près de 100%. Des plans d'approvisionnement d'urgence de la Suisse ont été régulièrement élaborés jusqu'à la fin de la guerre froide. En 1990, le dernier plan dit d'alimentation l'a démontré: la population suisse pourrait être approvisionnée par son propre sol avec 2300 kilocalories par personne et par jour après une conversion de la production agricole à des aliments essentiellement végétaux.

Mais la barre des 60% pourrait être atteinte même avec le nombre actuel d'animaux de rente. Chaque année, 330 kilos par personne de déchets alimentaires évitables sont produits en Suisse. Selon une estimation du Conseil fédéral, il serait possible d'augmenter le taux d'autosuffisance brut d'environ 11%. Pour cela, il faudrait consommer deux tiers des aliments qui finissent aujourd'hui à la poubelle.

L'«initiative des paysans» ne prévoit toutefois pas de réduire le gaspillage alimentaire ou le nombre d'animaux. Au contraire: l'élevage doit être intensifié. Le taux d'autosuffisance visé doit être atteint grâce à davantage de terres cultivables. Et oui, c'est vrai: à court terme, le taux d'autosuffisance pourrait ainsi être augmenté.

Une plus grande biodiversité entraîne-t-elle une baisse de l'autosuffisance?

«Il faut davantage de surfaces cultivables au lieu de friches, de prairies colorées et de tas de pierres», a déclaré Esther Friedli au Blick. Selon elle, ce sont les surfaces de promotion de la biodiversité qui rendent la Suisse trop dépendante de l'étranger. Le fait qu'à partir de 2024, au moins 3,5% des terres arables devront être transformées en surfaces de promotion de la biodiversité met le duo UDC en colère.

The Herens cow "Tigresse" of former Swiss politician and President of the Swiss People's Party (SVP/UDC) Toni Brunner, right, and with girlfriend Esther Friedli, left, pose after they w ...
La conseillère nationale UDC Esther Friedli avec son partenaire Toni Brunner.image: keystone

Ils sont particulièrement mal disposés à l'égard de la ministre de l'Environnement Simonetta Sommaruga: «Elle a tout gâché en matière d'approvisionnement énergétique, et maintenant elle s'attaque de plein fouet à l'agriculture», a fustigé Marcel Dettling.

Il est vrai qu'une production plus intensive augmenterait le taux d'autosuffisance. Inversement, cela signifie aussi qu'une production nationale plus écologique pourrait avoir un effet négatif sur la production de calories. Les surfaces de promotion de la biodiversité ou une réduction de l'utilisation d'aliments pour animaux, d'engrais chimiques et de pesticides peuvent faire baisser le niveau de rendement. Du moins à court terme.

A long terme, il n'y a pas d'autre solution que d'adopter une agriculture plus écologique. Le monde – et donc la Suisse – se trouve au cœur de la sixième grande extinction des espèces de l'histoire. La fertilisation excessive, l'utilisation de pesticides et la destruction des habitats naturels pour gagner plus de terres arables sont les principaux moteurs de la crise de la biodiversité.

Après une étude menée sur cinq ans, la station de recherche Agroscope a conclu en 2021 que la Suisse présentait «un déficit marqué de biodiversité» dans les zones de basse altitude. Le Conseil fédéral conclut, lui aussi, que:

«L'intensité de la production en Suisse a aujourd'hui en partie dépassé le niveau écologiquement supportable»

Or, les sols fertiles et la biodiversité sont essentiels au bon fonctionnement de l'agriculture. Une intensification supplémentaire de la production menacerait considérablement la sécurité alimentaire de la Suisse. L'histoire nous en donne quelques exemples: dans les années 1930, de grandes parties des États-Unis et du Canada étaient appelées «Dust Bowl» (en français: «bol de poussière»). En effet, en raison de la crise économique mondiale à cette époque, d'immenses surfaces avaient été défrichées pour l'agriculture. Résultat: des sécheresses et des tempêtes de poussière dévastatrices.

Le Dakota du Sud en 1936.
Le Dakota du Sud en 1936.image: wikimedia

L'initiative de l'UDC équivaudrait à un auto-goal, puisqu'elle entraînerait à long terme une baisse du taux d'auto-approvisionnement. Elle ne tient pas non plus compte du fait qu'une production plus intensive nécessite davantage d'engrais, d'énergie, de produits phytosanitaires ou de semences. Autant d'éléments qui doivent être importés et qui augmentent donc la dépendance vis-à-vis de l'étranger.

Ce ne sont donc pas les surfaces de promotion de la biodiversité qui nous rendent dépendants de l'étranger. C'est plutôt l'absence de ces dernières. Si l'UDC veut vraiment éviter aux agriculteurs de n'avoir rien de mieux à faire que de compter les papillons, une initiative pour une agriculture plus écologique serait sans doute plus efficace.

Article traduit de l'allemand par Léa Krejci

Cette vidéo d'un nuage iridescent fait le buzz, les images ont été retouchées
Video: watson
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