Une affaire de mœurs suscite un certain émoi dans le canton de Neuchâtel. Un professeur du lycée Blaise-Cendrars à La Chaux-de-Fonds a entretenu des relations sexuelles avec trois de ses élèves, des jeunes femmes. Révélés par la presse locale en octobre dernier suite au déclenchement d’une procédure disciplinaire, les faits se sont déroulés au tournant de l’an 2000, puis entre 2016 et 2020.
Jointe par watson, une enseignante neuchâteloise les commente sous couvert d'anonymat:
Elle fait allusion à la genèse du couple présidentiel, au lycée jésuite La Providence d’Amiens – il avait 15 ans, elle était sa prof de français et de latin, de 24 ans son aînée.
L’évocation de cette romance sulfureuse, mais finalement acceptée, n’a pas empêché cette enseignante neuchâteloise, «bientôt à la retraite», de se joindre aux signataires d’une pétition lancée le 5 janvier. Initiée par deux anciennes élèves non-parties prenantes au dossier, elle demande, entre autres mesures, «l’interdiction explicite des rapports sexuels entre élèves et enseignant.e.s, peu importe leur âge respectif». Le texte comptait 378 signatures mercredi en fin d’après-midi.
S’inscrivant dans l’ère post-metoo, cette affaire embarrasse le lycée Blaise-Cendrars. La pétition pointe un «problème structurel», une expression que réfute le directeur de l’établissement chaux-de-fonnier, Christophe Stawarz, cité par plusieurs médias – il n’a pas donné suite à nos sollicitations. Ce dernier affirme qu’il ne faut pas faire une généralité d’un cas, selon lui, isolé.
Le professeur visé par une procédure disciplinaire a été suspendu dans un premier temps, par la suite licencié sur décision de la conseillère d’Etat Christèle Graf, chargée de la formation. Il continue de percevoir son salaire jusqu’au 29 février. Son avocat, Me Basile Schwab, a introduit un recours auprès de la cour administrative. Son client estime que sa conduite méritait un avertissement, non un licenciement, au vu, notamment, de son travail, semble-t-il unanimement apprécié. La cheffe du département a estimé que le nombre des liaisons qui lui sont prêtées, trois en tout, qu’il a reconnues, constituait un facteur aggravant.
Aucune charge pénale n’est retenue contre lui, comme l’explique à watson le procureur qui a traité l’affaire, Nicolas Feuz:
Les trois élèves en question n’ont d’ailleurs pas entamé de poursuites pénales contre leur ancien professeur et partenaire. Les liaisons étaient consenties, ont-elles rapporté. Non, c’est sur un plan affectif et moral que les choses n’ont pas passé. Elles estiment que leur confiance a été abusée. Chacune d’elles pensait être ou avoir été la «seule conquête». «A cet âge-là, cet aspect des choses compte beaucoup», commente une personne proche du dossier. Aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, le professeur exerçait dans un domaine artistique, on lui reconnaissait de l’aura auprès de ses élèves.
La pétition donne un tour politique à cette affaire. Elle exige l’adoption par le lycée Blaise-Cendrars d’un code de déontologie plutôt strict: l’interdiction, avons-nous vu, de tout rapport sexuel entre professeurs et élèves. Mais aussi:
Ce programme de sensibilisation porterait notamment sur les notions de «consentement» et d’«abus de pouvoir», sur des aspects de «violences sexuelles et sexistes».
Le directeur du lycée chaux-de-fonnier serait prêt à entrer en matière sur une partie du contenu de la pétition. Une rencontre avec les pétitionnaires devrait avoir lieu cette semaine encore. Le moment est sensible, il s’agit de faire preuve de diplomatie. Il semblerait que le service de médiation existant déjà au sein de son établissement, auquel les élèves peuvent s’adresser quand surviennent des problèmes, ne suffise pas aux yeux des pétitionnaires.
Hugo Clémence, député socialiste au Grand Conseil du canton de Neuchâtel, est l’un d’eux. «J’ai été choqué, ébranlé par cette affaire», dit-il à watson. «J’ai signé la pétition par solidarité.»
Hugo Clémence a été élève à Blaise-Cendrars entre 2014 et 2018.
«La question de la majorité sexuelle, que je ne remets pas en cause, est ici secondaire, affirme Hugo Clémence. Ce qui compte, c’est le pouvoir, l’ascendant qu’exerce par définition un professeur sur ses élèves. Dans le cas présent, trois élèves affirment avoir été abusées moralement». Le jeune député socialiste ne se souvient pas avoir eu connaissance de liaisons profs-élèves durant ses années passées au lycée.
«Il devrait y avoir pour l’école une charte réglant les relations prof-élèves, comme il y a le serment d’Hippocrate en médecine», propose l’enseignante qui faisait allusion plus haut au couple Macron. Elle aussi a signé la pétition:
Vraiment? On lui fait part du cas de cette jeune professeure de lycée, Gabrielle Russier, qui s’était suicidée en 1969, après que sa liaison avec un élève de 17 ans avait été révélée. A l’époque, on ne parlait pas d’«emprise», mais de «détournement de mineur». Ce drame avait ému la France. Le président de la République, Georges Pompidou, avait pris parti pour l'enseignante décédée.
Si, spontanément, nos interlocuteurs envisagent l'ascendant émotionnel que peut exercer un prof ou une prof sur un élève, ils reconnaissent que la «drague» peut être insistante en sens inverse. Alors, disent-ils, les professeurs aussi doivent pouvoir s’adresser à une structure de médiation lorsque le désir émane de l’élève et qu'ils se sentent mal à l'aise face à cela. Une jeune trentenaire se rappelle avoir été «follement amoureuse» d'un de ses profs au lycée. «Il aurait suffi d'un claquement de doigts de sa part pour que je me jette dans ses bras, mais il n'a pas donné suite à mes regards», raconte-t-elle.
Pierre-Alain Porret préside le Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois (SAEN). «La pétition libère la parole, c’est important que les gens puissent s’exprimer, mais il ne faudrait pas faire l’amalgame entre le cas soulevé dans le lycée chaux-de-fonnier et l’ensemble de l’institution scolaire», dit-il. «Ce qui compte, c’est de se parler. Alors, oui, il y a sans doute des améliorations à apporter aux structures de médiation, pour les rendre plus performantes, plus à l’écoute, les abus doivent être sanctionnés.» Pour autant, Pierre-Alain Porret met en garde:
Un point de la pétition fait obligation aux employés de dénoncer des professeurs qui auraient des relations avec des élèves. Cette disposition favorisant la délation ne rencontre pas l’unanimité chez nos interlocuteurs. «Cela reviendrait à demander aux enseignants de s’espionner les uns les autres, c’est problématique. Il est préférable que les cas d’éventuelles liaisons soient abordés dans le cadre d'une discussion», réagit Pierre-Alain Porret. «Il faut des garde-fous», convient le député Hugo Clémence.
Le président du Syndicat des enseignants romands (SER), David Rey, renvoie à l’article 188 du Code pénal, qui punit «celui qui, profitant de rapports d’éducation, de confiance ou de travail, ou de liens de dépendance d’une autre nature, aura commis un acte d’ordre sexuel sur un mineur âgé de plus de 16 ans».
David Rey précise les choses: