Une plainte pénale? Une protestation? Suite à la parution d’un article de blog signé Hani Ramadan le 18 juillet sur le site de la Tribune de Genève, la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad) réfléchit à la meilleure manière de réagir. «Nous avons discuté mardi soir de la suite à donner à ce texte scandaleux», précise à watson le secrétaire général de la Cicad, Johanne Gurfinkiel.
Sur son blog hébergé par le quotidien genevois, Hani Ramadan, directeur du Centre islamique de Genève (Cige)* et frère de Tariq Ramadan, répliquait à la décision du ministère français de l’Intérieur de reconduire pour cinq ans son interdiction de séjour en France, prononcée en 2017 pour risque de trouble à l’ordre public.
Dans son article du 18 juillet – une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin –, Hani Ramadan, se posant en défenseur des Palestiniens face à Israël et comparant la situation des musulmans d’aujourd’hui à celle des juifs dans les années 30, écrit notamment ceci: «Je défends les enfants de Gaza en dénonçant les coupables, alors que vous, vous obéissez aux lobbies argentés qui affirment que l’armée israélienne est la plus morale du monde (…)». Il ajoute ensuite, dans le même registre:
C’est entre autres le terme «lobbies», «tel qu’il est développé dans l’argumentaire de l’émetteur du message», qui «consterne» la Cicad:
Personnage controversé, auteur en 2002 d’une tribune dans le journal français Le Monde où il défendait la lapidation des hommes et des femmes adultères, tenant d’un islam rigoriste, Hani Ramadan a récemment obtenu le soutien indirect du Grand Conseil genevois à son projet d’agrandissement du Centre islamique de Genève, devisé à cinq millions de francs et dont la surface dévolue aux activités culturelles et associatives serait ainsi triplée, passant de 300 m2 à 900 m2.
Le 20 mai, à une majorité serrée, 41 voix contre 38 et une abstention, les députés genevois rejetaient deux pétitions s’opposant à l’extension du Cige: l’une, de facture «technique », signée par 127 habitants du quartier des Eaux-Vives où est implanté le centre; l’autre, de nature «idéologique», rédigée par le groupement Vigilance islam, pour qui «il est évident que l’agrandissement du Cige décuplerait sa capacité d’endoctrinement et, loin d’œuvrer pour l’intégration, la cohésion sociale et le vivre ensemble, en ferait un vecteur encore plus puissant de séparatisme, de communautarisme et d’extrémisme».
Vigilance islam pointe ici les liens idéologiques et, en l'espèce, familiaux de la famille Ramadan, installée depuis 1958 à Genève, avec Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans. Une confrérie islamiste apparue en Egypte en 1928, qui prône une «islamisation par le bas» de la société et qui entretient avec l’Occident une compétition de type civilisationnel.
Lors du vote du 20 mai au Grand Conseil, la gauche (PS et Ensemble à gauche) l’a emporté face au PLR, à l'UDC et au Centre, avec le renfort d’élus du Mouvement citoyen genevois (MCG). Le parti populiste suivait ce jour-là la consigne du chef du Département de la sécurité, de la population et de la santé, Mauro Poggia, membre du MCG. L'actuel président du Conseil d’Etat genevois, sans rien nier d’un potentiel pouvoir de nuisance de l’idéologie des Frères musulmans, invitait les députés à se prononcer contre les deux pétitions, assurant ne disposer «d’aucun élément de nature à nous faire penser qu'il y aurait un danger particulier à cet endroit (réd: le Cige dirigé par Hani Ramadan)».
Au surplus, la demande d’agrandissement du Centre islamique de Genève a reçu en 2021 un avis favorable du Département cantonal des constructions, lequel a par ailleurs débouté la Ville qui avait fait recours contre ce projet sur des motifs d’ordre urbanistique.
Jean Romain, député libéral-radical au Grand Conseil genevois, connu pour son militantisme laïc et ses préventions contre l’islam politique, fait partie de la minorité qui a approuvé les deux pétitions s’opposant à l’agrandissement du Cige:
Le député socialiste genevois Sylvain Thévoz ne se situe pas sur ce terrain-là. Rapporteur pour la majorité, il s’est opposé aux deux pétitions: «Ce n'est pas acceptable, c'est même dangereux pour les fidèles en une période où, vous le savez, l'islamophobie, l'antisémitisme et toutes les formes de haine envers certaines communautés religieuses se trouvent peut-être à leur point le plus haut», déclarait-il lors des débats au Grand Conseil.
Contacté par watson mercredi, Sylvain Thévoz, proche de l’Eglise protestante genevoise et de l’Eglise luthérienne réformée, développe:
C’est à la loi de marquer les limites, selon Sylvain Thévoz. «Le Centre islamique dirigé par Hani Ramadan, avec lequel je n’ai aucune affinité, est sous surveillance. Vouloir museler le Cige, ce serait favoriser l’islam des caves, propice à la radicalité, ce serait donner des arguments à l’islam victimaire.»
Et les propos allusifs de Hani Ramadan sur les «lobbies», comme ceux tenus dans son article de blog paru le 18 juillet?
Le député socialiste au Grand Conseil genevois plaide pour une Genève «espace de dialogue pour toutes les idéologies». Et de citer en exemple la rencontre qui s’y était tenue en juin 2021 entre Jo Biden et Vladimir Poutine. Toutes les idéologies? Sylvain Thévoz faisait partie de ceux qui s’étaient opposés à la venue d’Eric Zemmour en novembre de l’année dernière à Genève.
«J’avais alors pris une position de militant. Allait-on laisser la parole à quelqu’un qui venait en Suisse pour y chercher de l’argent pour financer sa campagne électorale et qui tenait des propos négationnistes sur la collaboration française?» Que penser alors de l'antisémitisme imputé à Hani Ramadan?
«Aurait-il fallu laisser Eric Zemmour s’exprimer et le poursuivre en cas de propos répréhensibles?», se demande tout haut Sylvain Thévoz, peut-être conscient d’un possible deux poids, deux mesures qu’on pourrait lui opposer.
Faut-il séparer le prêche du tweet? Dans un passé pas si lointain, Hani Ramadan a publié des tweets jugés antisémites par ses détracteurs. Celui-ci, par exemple:
La France doit absolument se débarrasser de l’emprise du sionisme - politiquement aussi bien que médiatiquement - si elle veut retrouver et préserver ses valeurs. L’ennemi, c’est la finance, pas l’Islam...
— Hani Ramadan (@_HaniRamadan) October 26, 2019
Ou encore cet autre, dénoncé à l'époque par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra):
Hani Ramadan, islamiste, complotiste obsédé par les juifs. pic.twitter.com/zEBSQSZAK4
— Licra (@_LICRA_) October 5, 2020
Pour Johanne Gurfinkiel, le secrétaire général de la Cicad:
En juin 2021, la conseillère nationale UDC genevoise Céline Amaudruz, opposée comme son parti à l'agrandissement du Cige, avait saisi le Conseil fédéral via une interpellation intitulée: «La Confédération n'a-t-elle rien à dire?» L'élue du bout du Léman jugeait les diverses déclarations controversées de Hani Ramadan, «incompatibles avec les droits fondamentaux et irrespectueuses envers les femmes». Dans sa réponse datée du 25 août, le Conseil fédéral se déclarait incompétent sur les questions posées et renvoyait la «patate chaude» à la Ville et au canton de Genève. Avec la suite que l'on connaît.
*Le Centre islamique de Genève n'a pas donné suite à nos sollicitations adressées mercredi par téléphone.