Le périple débute à Annemasse, du côté français. Il est 7h et la ville s'éveille lentement. Dans ce calme matinal, seul le bruit des bus qui s'affairent à transporter les premiers lève-tôt résonne. Les rues, encore peu fréquentées à cette heure, s'animent progressivement sous le pas pressé des frontaliers.
A l'arrêt de tramway «Croix d'Ambilly», les usagers attendent patiemment, téléphone à la main et écouteur dans les oreilles. Alors qu'ils se préparent à entamer leur trajet quotidien vers Genève, un message apparaît à l'écran d'information des transports publics genevois (TPG): «circule uniquement entre Parc Montessuit et Grange-Canal».
Bien que les travaux sur la ligne 17 aient débuté depuis quelques jours et doivent se terminer le 28 novembre prochain, l'agacement se fait ressentir, ponctué par des soupirs ici et là. Un homme s'exclame à haute voix:
Cet individu, c'est Mathis, un ouvrier du bâtiment. Il confie: «Je dois partir plus tôt de chez moi, c'est vraiment chiant». Avant que les travaux ne commencent, le trajet domicile-travail lui prenait à peine 30 minutes. Maintenant, il doit ajouter vingt minutes à son temps de trajet initial.
Les mines endormies, les passagers montent dans le tram et s'installent. Les plus chanceux parviennent à s'asseoir, tandis que les autres doivent rester debout. Certains sont plongés dans un livre ou scotchés à leur téléphone, pendant que d'autres discutent avec leurs collègues du «tram de la mort».
Soudain, les conversations et les pensées sont interrompues par un message sonore diffusé à plein volume dans les haut-parleurs:
Cela ne semble pas le chemin le plus court.
Une dizaine de minutes de trajet plus tard, le tram ralentit puis s'arrête brusquement. Tout à coup, un homme vêtu d'un gilet fluo, avec le logo TPG devant et le sigle «info» inscrit dans le dos, monte dans le tram et hurle:
Après avoir quitté le confort relatif du tramway, les usagers s'élancent en direction de l'arrêt provisoire, situé 500 mètres plus loin, en slalomant entre les poussettes et les trottinettes électriques. Une fois le parcours d'obstacles franchi, ils se placent dans la file indienne qui s'est formée sur le trottoir, comme un troupeau de moutons.
L'allure de marche des passagers varie. Certains avancent sereinement, car ils ont prévu le coup, tandis que d'autres, comme Clara, semblent pressés. En chemin, elle s'interroge sur les panneaux d'information qui jalonnent son trajet: «J'ai remarqué ces panneaux ces derniers jours, mais je n'ai pas pris le temps de les lire», confie-t-elle, l'air inquiet.
Dans l'espoir de gagner du temps, la jeune fille se décale sur la route, tentant d'éviter la foule qui s'est agglutinée sur le trottoir. Nous la suivons, mais nous sommes rapidement rappelés à l'ordre par un homme, armé de bâtons lumineux qui s'agitent dans tous les sens:
Clara, malgré son élan, lève les yeux et stoppe net sa course pour remonter sur le trottoir. Face à elle, un homme tout en jaune fluo est chargé de faire la circulation le temps des travaux.
Essoufflée par cette accélération, l'étudiante poursuit: «Je n'étais pas au courant des travaux, je vais arriver en retard». Alors qu'on se rapproche de l'arrêt provisoire, un panneau lumineux affiche en grand le numéro «12», signalant la présence du véhicule.
A notre arrivée, c'est l'étonnement: on découve une plateforme en bois, dissimulée sous des balisages de signalisation rouge et blanc et recouverte d'une moquette en velours bleu. A côté de nous, une femme qui emprunte ce chemin chaque matin, nous explique:
Autour de nous, des passants intrigués font traîner leurs pieds sur la moquette, quand d'autres s'engouffrent dans le tram, déjà à quai.
Ça y est, on y est! Enfin installés dans le tram 12, les passagers trépignent lorsqu'un nouveau message apparaît à l'écran:
La cause? Les trams circulent uniquement par tronçons, nous obligeant à attendre les personnes qui arrivent au compte-gouttes. Les passagers déjà à bord ne cessent de tourner les yeux vers l'écran. Tout à coup, le bruit des freins qui se relâchent se fait entendre, et le tram démarre. Un soupir collectif s’élève dans la rame.
Le périple touche à sa fin. Encore quelques minutes de courage et chacun pourra reprendre son trajet habituel.