Zouhair (la bonne quarantaine) et Kader (un peu plus jeune) conduisent des voitures Uber à Genève, en tant qu'indépendants. Dès samedi soir, ils ne pourront plus exercer leur métier, comme tous leurs collègues du canton. En cause, la décision du Tribunal fédéral tombée ce vendredi, reconnaissant les chauffeurs Uber comme des salariés et obligeant ainsi la branche des chauffeurs privés à Genève à cesser toute activité dès ce samedi 3 juin tant que l'entreprise ne sera pas conforme à la loi genevoise sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC).
Joint pour watson, Kader, propriétaire de deux véhicules, commente cette victoire de l'Etat de Genève. «Cette décision me semble drastique par son caractère instantané. On aurait très bien pu prendre la même décision, mais offrir un petit moment aux chauffeurs, en leur donnant un mois pour se préparer à la suite.» Le chauffeur indépendant critique également un autre aspect de la décision du jour:
Autrement dit, la société Uber est moins impactée par ce verdict que les personnes qui travaillent pour elle. Et selon Kader, il y a un deuxième perdant, après les chauffeurs: c’est l’Etat. Un fait que relève aussi Zouhair:
Pour lui, on devrait plutôt parler d'échec de la part de l'Etat, plutôt que de victoire. «Il n'y aura qu'à voir lundi, quand 500 personnes seront arrivées au centre d'aide sociale.»
Après la colère quant à la situation présente, vient la réflexion sur le fond. En aucun cas Kader ne remet la justice suisse en question. «Quand on voit les conditions de travail des professions ubérisées de manière générale, on est évidemment favorable à la demande de l'Etat qu'Uber déclare ses employés.» Si notre interlocuteur sait que certains employés ne partagent pas son avis, il pense néanmoins représenter une nette majorité:
Son collègue, lui, est en désaccord profond avec cette idée. Pour Zouhair (et il estime aussi son opinion majoritaire parmi les chauffeurs Uber), être salarié n'est pas souhaitable. «Actuellement, c'est nous qui acceptons telle ou telle course. Etre salarié d'une multinationale comme Uber, cela impliquerait d'accepter tout ce que nous dit d'accepter l'employeur!» On le voit, le tableau des sensibilités parmi les personnes concernées n'est pas unicolore.
Il faut dire qu'Uber est en procès depuis des années. «On est arrivés à la conclusion d'un bras de fer sans fin», constate Kader. Une situation étonnante? Non. «Dès qu’il y a un endroit où ça ne fonctionne pas avec l'Etat, l'entreprise se tire. Pourquoi? Parce que si elle se met en conformité, elle est censée le faire aussi dans les autres pays.» Zouhair approuve. Pour lui, cela ne serait pas arrivé sans la démarche des politiques, qu'il considère d'ailleurs comme des menteurs:
Ce que Zouhair compte faire maintenant? «Même si je préfèrerais rester indépendant, je vais me préparer à l'examen de taxi. Mais ce sera en octobre. Donc entre-temps, je vais aller toquer à la porte de l'hospice, et ce n'est pas de gaîté de cœur.» Quant à Kader, il a d'autres plans. Une chose est sûre: nos deux interlocuteurs sont convaincus qu'ils vont s'en sortir d'une manière ou d'une autre. «On est des battants!», sourit Kader, avant de laisser place à la tristesse: «Mais si vous saviez comment je suis alarmé pour mes collègues.»