C’est fait. Moutier est jurassienne. Par 374 voix d’avance (54,9%). Six heures du soir venaient d’être frappées lorsque le résultat est tombé. Pour les séparatistes prévôtois, une délivrance, pour l’actuel canton du Jura, une victoire sur le canton de Berne.
La foule compacte des autonomistes, réunie face à l’Hôtel de la Gare, QG du camp séparatiste, a laissé éclater sa joie. Des centaines de drapeaux jurassiens ont alors battu le bleu du ciel dans une indicible farandole. Chantée à tue-tête, la Rauracienne, l'hymne du combat pour l'indépendance, a dit qui, aujourd’hui, est victorieux. «Moutier, bernois, plus jamais!», scandaient les autonomistes.
C’est moins le vote du 18 juin 2017, gagné avec 137 voix de différence, puis cassé par la justice bernoise, d’où sa répétition ce dimanche, qui est réparé, que le sous-plébiscite du 16 mars 1975, lequel, pour 365 voix en faveur des antiséparatistes, retint Moutier pour longtemps dans le canton de Berne. Il y aura peut-être des recours lancés par des probernois pour contester le présent verdict des urnes, mais on peut douter qu’ils aboutissent.
Avant l’annonce du résultat, de jeunes partisans du rattachement de Moutier au canton du Jura, venus des quatre coins de ce dernier et d’ailleurs, savaient qu’ils allaient vider les packs de Feldschlösschen apportés en prévision de la soirée. Quoi qu’il se passe : «Pour trinquer à la victoire ou pour noyer notre peine.»
Chez eux, comme chez de jeunes antiséparatistes, la filiation explique tout. Ils ont eu un père, et pour beaucoup, même, car le temps passe, un grand-père autrefois engagé dans la cause jurassienne, en particulier dans le groupe Bélier, adepte des coups d’éclat. «Le mien a pris une balle dans le cul de la part d’un policier bernois, alors qu’il écrivait Jura Libre sur un rocher au col de Pierre-Pertuis», raconte une jeune homme originaire du Noirmont, aux Franches-Montagnes. Que de souvenirs…
C’aurait pu être un indice. Le camp du «non», réuni au Forum de l’Arc à la sortie Sud de Moutier, en direction de Bienne, tout à l’opposé de l’Hôtel de la Gare, semblait, lui, bien apathique. A peine une cinquantaine de partisans, contre pas loin de 2000 déjà dans la partie autonomiste sur les coups de 16 heures. Corinne se souvenait d’années bien plus flamboyantes. Elle était gamine quand, au début des années 80, ses parents antiséparatistes l’avaient emmenée à Cortébert, dans le Vallon de Saint-Imier, pour s'opposer à la venue du leader autonomiste Roland Béguelin dans ce fief probernois. Aujourd’hui, il n’y avait plus de flamme, seulement de l’habitude.
Sauf rebondissement, Moutier sera donc jurassienne dans les prochaines années. En 2026, a souhaité dans la foulée le gouvernement jurassien. Qui va devoir entamer avec le canton de Berne un long et fastidieux partage des biens, comme après la victoire du Jura Nord en 1974.
Moutier s’en va, mais il y a les autres, ceux qui restent. Moutier lâcheur... Le chef-lieu, avec ses 7500 habitants, représente le tiers des habitants du district, les deux-tiers restants vivant dans des villages, certains plus gros que d’autres. Comment vont-ils pouvoir vivre sans Moutier? Ce départ va faire des orphelins. Les deux camps le savent. Les séparatistes peuvent espérer que d’autres communes du district demanderont à rejoindre le canton du Jura. Les antiséparatistes, eux, redoutent un détricotage.
Des déçus du 28 mars (une date qui fait son entrée dans l’histoire jurassienne par la grande porte) préféreront quitter Moutier. Mathieu, 23 ans, membre de Moutier Plus, qui réunissait il y a peu encore les partisans du «non», ne pense pas rester dans cette ville qui a décidé de passer au Nord. Cet informaticien ira habiter ailleurs quand l’occasion se présentera.