Ferdinand Pfammatter est garde-forestier. En ce mois d'octobre, il marche au-dessus de la gare du petit village de Hohtenn, dans le Haut-Valais. La localité se trouve sur la ligne de montagne du Lötschberg. Nous sommes sur un versant escarpé, plein sud, et le soleil tape fort. Le risque d'incendie de forêt est élevé:
A l'époque, la compagnie ferroviaire bernoise, qui s'est notamment développée dans la région — elle est aujourd'hui présente dans tout le canton, jusqu'à Neuchâtel et Fribourg — avait acquis le terrain le long du tracé pour planter de grandes surfaces d'arbres comme forêt de protection. Elle a également mis en place son propre système d'irrigation afin d'éviter l'assèchement de la forêt, qui protège des glissements de terrain.
Force est de constater que ce système est en danger. Certaines espèces d'arbres souffrent de la sécheresse croissante en été, notamment les frênes, dont un tiers a dépéri. En parallèle des chaleurs, l'eau pour l'irrigation se fait plus rare. Des petits glissements de terrain et les coulées de boue sont ainsi devenus plus fréquents.
La BLS a décidé de réagir et cherche de nouvelles espèces d'arbres plus résistantes à la sécheresse, en collaboration avec des experts en dangers naturels du domaine alpin. Cette démarche s'inscrit dans le cadre d'un projet pilote de la Confédération visant à minimiser les conséquences du changement climatique. Il s'agit d'un projet à long terme et délicat, car il est impératif de ne pas laisser de trou dans la forêt durant les travaux et la phase durant laquelle les nouveaux arbres vont grandir, sans quoi le risque de glissements de terrain va augmenter.
Les zones climatiques sont destinées à être complètement redessinées. On prévoit des conditions extrêmes, avec des températures élevées et des sécheresses prolongées, qui vont devenir la norme. Et ce, aussi en altitude, à partir de 2050. Les nouvelles espèces d'arbres devront non seulement se contenter de moins d'eau, mais aussi bien gérer le stress de la sécheresse.
Les chemins de fer du Matterhorn-Gothard prennent aussi très à coeur la question du changement climatique et son impact sur les dangers naturels. Ils déploient des efforts considérables pour garantir la sécurité, en hiver comme en été. Et malgré la neige, ce n'est pas la saison froide qui est la plus compliquée à gérer.
La ligne qui traverse la Vallée de Zermatt, célèbre dans le monde entier, est particulièrement exposée. La plupart des dangers naturels guettent entre Stalden et Saint-Nicolas, où la ligne est protégée par des filets contre les chutes de pierres et même par une digue spécifique. Mais la situation est aussi compliquée dans la partie supérieure de la vallée en raison des chutes de pierres et des avalanches. C'est pourquoi un nouveau tunnel ferroviaire est prévu entre Täsch et Zermatt. Sa mise en service n'est toutefois guère envisageable avant 2033 ou 2034.
La ligne ferroviaire de la Matterhorn-Gotthard-Bahn entre Zermatt et Disentis est, elle, longue de 144 kilomètres. C'est là que circule le célèbre Glacier Express qui continue jusqu'à Saint-Moritz. Sur son tracé, il s'expose aux chutes de pierres, aux laves torrentielles et aux avalanches. Les passagers du train panoramique n'en ont généralement pas conscience lorsqu'ils profitent du paysage...
Chaque année, la compagnie investit environ 2,5 millions dans la protection des infrastructures contre les dangers naturels. Ces coûts sont entièrement pris en charge par la Confédération, notamment par l'Office fédéral des transports, comme l'explique Daniel Siegen, ingénieur civil et responsable des dangers naturels pour les chemins de fer du Matterhorn-Gothard. L'OFT verse chaque année 70 à 80 millions de francs aux entreprises ferroviaires pour la mise en œuvre de telles mesures.
Au total, 328 endroits dangereux ont été identifiés sur le réseau de la Matterhorn-Gotthard-Bahn. Mais tous ne peuvent pas être protégés préventivement. Un changement de paradigme a eu lieu, que l'ingénieure Claudia Holenstein résume ainsi: «Agir au lieu de réagir». On passe de la défense contre les dangers à la gestion des risques. Ce qui implique aussi d'affecter les ressources là où le besoin est le plus grand. Un avis partagé par Marc Hauser, responsable des dangers naturels et de la géologie au département Infrastructure des CFF:
Nous rencontrons le cadre des CFF à Andermatt, où il détaille la stratégie de l'ex-régie fédérale en matière de dangers naturels. Il précise d'emblée:
Les phénomènes naturels se sont massivement accélérés et la Suisse est plus touchée que le reste de l'Europe. «Il va très vite faire beaucoup plus chaud».
Les CFF ont construit des milliers d'ouvrages de protection, notamment le long de la ligne de montagne du Gothard, qui est à nouveau très sollicitée à la suite de la fermeture du tunnel de base au trafic voyageurs. Filets, soutènements, renforcements... mais ces solutions ne suffisent plus.
L'identification des dangers potentiels et la gestion des risques nécessitent aujourd'hui des technologies modernes. La lutte contre les dangers naturels se numérise de plus en plus, par exemple via des senseurs intégrés dans la roche ou des systèmes par satellite permettant de mesurer les déplacement du terrain. Le recours à des drones permet, lui, de surveiller et photographier les zones à risque. Les zones dangereuses peuvent être scannées et reproduites en 3D à l'aide d'un logiciel. On peut ainsi prédire très précisément un événement et fermer à temps un tronçon.
Sur les 2723 kilomètres du réseau des CFF, 1122 kilomètres sont considérés comme exposés au danger. Hauser estime le risque total pour 2023 lié à cette menace à 30 millions de francs. Pour évaluer les zones à risque, le géologue prend aussi régulièrement l'hélicoptère depuis Andermatt, il inspecte, par exemple, la zone autour du sommet de la Kleine Windgälle, qui culmine à près de 3000 mètres dans les alpes uranaises. On y constate depuis quelque temps des déplacements géologiques qui pourraient déclencher un important éboulement.
Plus à l'est encore, on recense bien d'autres dangers. Les Chemins de fer rhétiques, par exemple, sont tous présents en zone de montagne et particulièrement exposés aux dangers naturels. Ils investissent chaque année environ 7,5 millions de francs dans l'entretien des ouvrages de protection et la sécurisation de nouvelles zones. Sur le tronçon Trin-Versam, dans les spectaculaires gorges du Rhin, on travaille actuellement à la construction d'une galerie contre les pierres de 295 mètres de long, avec des filets d'acier.
Le ruisseau de Carrera, qui se jette dans le Rhin antérieur, pose aussi problème. En 2017, une importante lave torrentielle s'y est produite. Il a fallu reconstruire le pont qui enjambe le ruisseau trois fois, la dernière fois en le surélevant d'environ 3,5 mètres. Désormais, il faut désenvaser le lit du cours d'eau afin d'éliminer les sédiments. Grâce à des caméras de surveillance, la ligne peut désormais être fermée rapidement en cas de besoin.
Il est intéressant de noter qu'en plus des méthodes numériques et des capteurs, les Chemins de fer rhétiques ont continué à accorder une grande importance au facteur humain. Ainsi, les lignes sont passées en revue chaque semaine par des collaborateurs à pied, et régulièrement lors de courses de contrôle:
Traduit par Valentine Zenker