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Comment Credit Suisse a plongé en enfer

Comment Credit Suisse a plongé en enfer

La grande banque va de déboire en déboire depuis des années. Si elle a dû accuser le coup de la crise de 2008, comme ses consœurs, Credit Suisse n'a pas su se réinventer et développer un modèle d'affaires solide prompt à rassurer les investisseurs. Jusqu'à son issue fatale.
19.03.2023, 07:5822.03.2023, 18:33
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C'est l'histoire de longues années d'une banque qui voit son action chuter en bourse. Voilà plus de dix ans que Credit Suisse (CS) voit la confiance de ses investisseurs baisser, encore et encore. Face à elle, son «concurrent naturel», UBS, s'en tire bien. Si bien qu'il finira par racheter CS, avec la bénédiction du Conseil fédéral et de la Banque nationale suisse (BNS).

Car rien n'était joué d'avance: c'était bien UBS qui avait dû, après la crise de 2008, être sauvée à hauteur de 60 milliards. Une tentative similaire a pourtant été annoncée par la BNS, quelques jours avant l'issue fatale pour Credit Suisse.

Comment expliquer que cet établissement helvétique historique n'a fait que plonger alors qu'UBS a réussi à garder la tête hors de l'eau? En cause notamment: les activités décidées par la banque, mais pas que. Retour sur dix ans de catastrophes, d'affaires et de perte de confiance.

UBS sous le choc

S'il faut remonter bien loin pour comprendre quand et en quoi le ver s'est logé dans la pomme de Credit Suisse, c'est en 2008 que les deux banques vont prendre un destin différent. Une date peu originale et bien connue du grand public: celle de la crise des subprimes, qui en entraînera bien d'autres.

Car la crise de 2008, le système financier mondial se la prend de plein fouet. UBS, qui a fortement investi dans des «fonds pourris», les fameux subprimes, est alors sur la sellette.

Sauvé grâce aux 60 milliards libérés par la Banque nationale suisse (BNS), le prestigieux établissement est sous le choc. Et ce, d'autant plus qu'il avait connu plusieurs scandales durant les années 2000, avant la crise. «Ses instances dirigeantes se remettent alors en question», explique Yves Genier, auteur du livre Scandales chez Credit Suisse (édition Attinger).

«Lorsqu'UBS a été sauvée par la BNS et la Confédération, elle a été contrainte de se réinventer»
Yves Genier

«Elle a alors misé sur sa position de numéro un mondial en matière de gestion de fortune, qu'elle s'efforce depuis de consolider», explique l'auteur.

«Il a fallu 2 ou 3 ans à UBS pour mettre en œuvre cette stratégie, mais ça a marché. Aujourd'hui, c'est une banque tout à fait honorable à son échelle»
Yves Genier

Un univers composé d'héritiers soucieux de garder et faire fructifier leur patrimoine, ainsi que de cadres supérieurs prudents et au portefeuille solide qui tiennent à leurs sous. Une stratégie plus stable, qui permet de capitaliser sur de l'argent qui dort peut-être, mais qui ne bouge pas. La banque cueille aujourd'hui les fruits de cette remise en question qui lui a apporté une plus grande stabilité.

En 2008, Credit Suisse prend la confiance

Du côté de Credit Suisse, qui s'était montrée plus prudente et habile au cœur de la tempête, c'est le contraire: la banque a réussi à éviter de se prendre la vague de la crise en pleine face. Pour Yves Genier, à partir de ce moment-là:

«Credit Suisse a manifesté un excès de confiance»
Yves Genier

«C'est mon hypothèse», concède-t-il. Alors qu'UBS se tourne principalement vers la gestion de fortune, Credit Suisse ne modifie pas fondamentalement sa stratégie et continue de miser sur la «banque d'affaires», soit ses activités de conseil destinées à faire croître les chiffres d'affaires des entreprises. Un secteur qui rapporte beaucoup d'argent, mais dans lequel on doit parfois miser gros: fusions-acquisitions, trading, optimisation de capitaux, levée de fonds importants par la dette, etc.

Problèmes systémiques

Il faut dire que, chez Credit Suisse, on a encore en tête les «grandes années» américaines, où dès la décennie 1970, l'établissement a pignon sur rue à Wall Street. Mais les procédures de contrôle importantes ne sont déjà pas strictement appliquées. «Normalement, une activité bancaire est super-contrôlée en interne à différents niveaux de hiérarchie pour corriger les erreurs», explique Yves Genier.

«Ce qui était important, c'était de conclure des affaires. Le contrôle était secondaire»
Yves Genier

Une culture d'entreprise qui flatte certains égos et les chiffres à court terme, mais met sous le tapis divers problèmes. Couplées à un mauvais système de management au sein de l'entreprise, ces déficiences se seraient développées de manière «systémique».

Credit Suisse pavane

Retour en 2009: alors qu'UBS doit douloureusement faire pénitence, Credit Suisse s'enorgueillit de ne pas être le vilain petit canard. Quant aux procédures de contrôle et au style de management, il n'a que peu changé depuis les années 1970. Une certaine culture du bonus vient s'y ajouter.

Profitant de la reprise de 2009 et 2010, Credit Suisse peut pavaner: elle dépasse son concurrent, son action restant au-dessus de la barre des 30 francs, alors qu'UBS est plutôt à 20 francs. Alors que celle-ci met au point et fignole sa stratégie de gestion de fortune, Credit Suisse ne sait pas encore qu'elle profite de ses derniers instants comme numéro un.

Credit Suisse - UBS

Cette situation dure jusqu'à l'été 2011, où le cours de l'action CS retombe au niveau de celui de sa consœur. Deux petites années durant lesquelles la banque aura pu toiser UBS du regard.

Les affaires des années 2010

Et si UBS était empêtrée dans diverses affaires dans les années 2000, la décennie suivante réserve le même sort à Credit Suisse. «Affaire du taux Libor», «affaire des prêts suspects au Mozambique»... sous ces titres qui semblent tout droit sortis de nouvelles d'OSS 117, on retrouve des scandales qui auront convaincu de nombreux investisseurs de quitter le navire.

Les amendes pleuvent: en 2014, la banque doit payer une lourde amende de 2,6 milliards de dollars aux Etats-Unis pour des affaires d'évasion fiscale. Une autre, de 5,3 milliards, suivra en 2017, pour une affaire de prêts hypothécaires.

«Ce ne sont pas des erreurs ou des excès isolés, ce sont des problèmes systémiques internes à la banque. Cette accumulation de scandales a créé la méfiance auprès des investisseurs»
Yves Genier

Les grandes années américaines sont passée: désormais, Credit Suisse a une bien mauvaise réputation outre-Atlantique, ce qui n'aide pas à regagner la confiance de certains investisseurs. A partir de 2015 environ, UBS a distancié sa cousine, dont l'action vaut à peu près le double.

Une chute lente pour une action agonisante

Au détour de la décennie, les choses ne vont guère mieux: la banque est accusée d'avoir fait suivre ses employés. «L'affaire des filatures» verra la démission de Tidjane Thiam, patron de la banque, quelques semaines avant le début de la pandémie du Covid en Europe.

Suivent au printemps 2021 les affaires «Greensill» et «Archegos», du nom de ces deux entreprises, des «mauvais chevaux» sur lesquels Credit Suisse n'aurait pas dû miser. Tout cela lui coûtera entre cinq et dix milliards de dollars.

UBS - Credit Suisse

Dans la foulée, au mois d'avril, c'est la dégringolade: l'action CS passe pour la dernière fois en dessous de dix francs et ne remontera plus jamais au-dessus. Le fossé avec l'action UBS s'agrandit. Une chute lente pour une action agonisante, qui culmine avec la crise qui s'est déroulée après la chute de plusieurs petites banques aux Etats-Unis, en mars 2023.

Le maillon faible

C'est bien dans la foulée de la faillite de Silicon Valley bank (SVB) et de la Signature bank, aux Etats-Unis, que Credit Suisse s'est enfoncée dans la crise. Mais comment expliquer que la faillite d'une banque tierce vienne faire autant de mal à CS?

«Objectivement, Credit Suisse n'est pas grandement exposée à ce risque. Mais la banque est devenue le maillon faible de la finance internationale»
Yves Genier

Alors, où est le problème? La crise autour de Credit Suisse est une crise de confiance. Car moins les investisseurs ont confiance en une banque, plus ils récupèrent leurs fonds qu'ils investissent ailleurs, et moins son action a de la valeur.

Et cette tendance est accrue quand l'économie mondiale connaît des turbulences. Soit exactement ce qui est arrivé après la faillite de la SVB et de la Signature bank. Dans un tel contexte, difficile de sortir du cercle vicieux dans lequel l'établissement s'est fourré.

«Les mauvaises nouvelles, les fragilités de fonctionnement, les résultats en baisse, les pertes, etc. Tout cela pris séparément n'est pas très grave. Mais l'accumulation rend les gens méfiants»
Yves Genier

Une manière comme une autre de payer, malgré elle, les errances des dix dernières années. Cette chute d'autant plus surprenante que, si l'action en bourse dévisse, la banque est, en théorie, en bonne santé:

«En termes de ratios financiers et de fonds propres, il n'y a pas de problème. Cette banque a les reins solides»
Yves Genier

La banque est-elle sortie d'affaire?

Pour se sortir du pétrin, outre l'argent mis à disposition par la BNS, la banque peut faire des emprunts à très court terme. Mais là aussi, les choses sont délicates si elle compte utiliser cette méthode pour se sortir d'affaire:

«Si la banque veut faire des emprunts au jour le jour, à 24h, sur le marché interbancaire, elle doit s'acquitter d'un taux d'intérêt stratosphérique. C'est de la folie»
Yves Genier

Après l'investissement massif de la BNS, Credit Suisse semblait temporairement sorti d'affaire. Tandis que les sphères dirigeantes du groupe se sont entêtées à vouloir faire comprendre aux investisseurs que leur banque était saine. Mais le mal était fait. Et le chemin royal, pavé pour UBS.

Note: certains éléments de cet article ont été adaptés au regard de la reprise de Credit Suisse par UBS, actée le dimanche 19 mars au soir.

Ce taureau court au milieu d'une banque et provoque le chaos
Video: watson
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