«Désolé pour la snus. Sans, j'ai du mal à me concentrer et je parle beaucoup trop vite», se justifie Nino* en coinçant son tabac sous sa lèvre supérieure. Assis en face de nous dans un café, il éclate de rire.
Il a eu 18 ans il y a quelques jours. Grand, vêtu d'un t-shirt blanc et d'un short beige, il a les cheveux rasés sur les côtés. Il parle d'une voix spécialement douce. Et ne cesse de rire en évoquant le daytrading. Son hobby, ou «son deuxième travail, en fait».
Nino vient d'achever sa première année d'apprentissage de spécialiste en relation clientèle. Il «passe sa journée au téléphone», et cela lui plaît. En revanche, il aime moins les cours, pour lesquels il se contente du minimum. «Pour avoir quatre de moyenne, ça suffit, même si je n'étudie pas. Je ne suis pas stupide», assure-t-il. De toute façon, Nino nourrit d'autres ambitions professionnelles. Il veut être financièrement indépendant après sa formation.
Et à 30 ans, il compte bien prendre sa retraite.
D'où vient ce souhait? Il n'est pas fan de «ce système», répond-il. «Ce système», c'est le salariat, la consommation de médias mainstream qui «diffusent beaucoup de bêtises». Il se méfie également de l'Etat, qui veut savoir combien les gens ont sur leur compte, et qui collecte des impôts.
Une devise somme toute libertaire: «Si je me plante, je dois assumer ensuite». Et cela vaut pour tout le monde, aux yeux du jeune homme.
Nino en est venu au daytrading, ou spéculation à court terme, par les médias sociaux. «Quand tu traînes sur les réseaux, tu finis par tomber dessus». Mais depuis tout petit, il s'intéresse à l'argent. Son père est gestionnaire de fortune indépendant et il a aidé son fils à acheter sa première action alors que celui-ci n'avait que 12 ans. «Une action Xiaomi, j'adorais cette entreprise». A cause de son père, il a vendu l'action trop tôt. Il soupire:
Un ami l'a alors définitivement convaincu d'essayer le daytrading. Un moyen, paraît-il, d'accéder à la richesse.
Quand le réveil sonne à 7 heures, Nino commence par des analyses graphiques. Il étudie l'historique des valeurs, et lit les gros titres de la politique mondiale. Ensuite, il fixe une limite d'achat, c'est-à-dire une limite inférieure à laquelle l'achat s'effectue automatiquement. Il peut alors poser son téléphone et faire confiance au «trade». Cela ne fonctionne cependant que parce qu'il ne traite actuellement que de l'or. S'il négocie des cryptomonnaies ou des «meme coins», cela ne marche pas. «Il faut alors suivre constamment». Un meme coin, c'est une cryptomonnaie issue d'un phénomène internet (meme) ou ayant une caractéristique humoristique.
Nino a lancé le sien une fois. Il a engrangé 750 francs en une journée. «Cela m'a flashé. Pour le même montant, il me faut normalement un mois». Il a tout dépensé chez Dior et Rituals pour sa copine et pour sa famille.
Nino ne travaille actuellement qu'avec de l'argent virtuel, et ce, sur la plateforme FTMO. Elle met à la disposition de ses utilisateurs un capital fictif pour négocier des produits dérivés sélectionnés. Malgré tout, les abonnés empochent effectivement au moins 80% des gains éventuels. Mais seulement s'ils se sont «qualifiés» au préalable, en passant un test payant en deux étapes.
Le test coûte entre 90 et environ 1000 francs selon la taille du dépôt souhaité. Ces frais constituent le modèle commercial de FTMO. Selon le magazine économique allemand Wirtschaftswoche, les fondateurs de la plateforme ont réalisé un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros et un bénéfice de 92 millions en 2024.
Les critiques pointent du doigt un modèle purement pay-to-play. Il se distingue ainsi du véritable prop-trading, dans lequel les traders expérimentés spéculent avec des capitaux étrangers et reçoivent une part des bénéfices, et également du daytrading classique, dans lequel on négocie avec des capitaux propres. Sur certains forums, des témoignages signalent un refus ou le retard d'un versement de bénéfices. Et ce, à cause, soi-disant, d'infractions aux règles.
Nino ne considère pas FTMO comme une façon de s'entraîner. Son objectif: se constituer un capital de départ grâce à la plateforme, pour pouvoir ensuite spéculer par lui-même.
Le jeune adulte a conscience que l'on peut perdre beaucoup de sa propre mise en négociant à court terme. Il lui est arrivé une fois de perdre 6000 francs. C'était terrible, avoue-t-il. «Mais je sais que je peux me rattraper».
Avec ses activités sur FTMO, il n'est pas encore atteint la rentabilité depuis qu'il a commencé à «trader» au quotidien. C'était il y a six mois. «Ce n'est pas un schéma Get-Rich-Fast», un plan permettant de s'enrichir rapidement. «Les premières années, tu n'es toujours pas rentable», résume Nino.
Rien qu'une question de temps? Pour les experts des marchés, en misant sur le long terme, en laissant donc son argent sur plusieurs années dans différents titres, on réalise clairement un bénéfice compris entre 4 et 7%. C'est ce que décrit Marc Arnold, professeur à l'université de Saint-Gall (HSG).
Il faut encore en déduire les frais, soit les taxes versées à la banque. «Plus on intervient, moins bonne sera la performance moyenne», explique Arnold avant de poursuivre:
Différentes études montrent qu'une grande quantité de trading est néfaste à long terme et grignote toute la performance, c'est-à-dire le bénéfice:
Bien sûr, il y a les histoires de ceux qui ont acheté des actions Tesla ou du bitcoin au bon moment et qui sont devenus très riches. «Mais ce sont des cas isolés, et ces personnes ont généralement investi dans une action par hasard, pas dans plusieurs différentes», complète l'enseignant. Il observe avec inquiétude comment de nombreux jeunes se lancent grâce à un marketing habile sur les médias sociaux. Quitte à y laisser de grosses sommes, voire à s'endetter.
Des influenceurs sur YouTube proposent des cours et autres programmes de coachings payants et promettent une fortune rapide. Or, gagner ou perdre n'a pas grand-chose à voir avec les capacités individuelles:
Autre constat: les gestionnaires de fonds professionnels et expérimentés n'obtiennent pas de meilleurs résultats à long terme. Pas même avec les placements passifs comme les fonds indiciels. Selon l'enseignant, il faut davantage de sensibilisations pour éviter aux jeunes de tomber dans le piège de l'endettement:
Confronté à cela, Nino rétorque: «Le professeur a raison: l'investissement à long terme est généralement plus fructueux». Mais le trading peut aussi fonctionner, il s'avère simplement nettement plus exigeant. Le mieux reste de combiner les deux, conclut Nino: investir la majeure partie à long terme et maintenir du trading actif avec le reste.
Pendant la conversation, il n'a pas cessé de regarder son téléphone portable. De temps en temps un peu déçu, l'un de ses placements ne s'étant pas déroulé comme prévu. Il aurait souhaité une baisse de prix plus franche. Malgré tout, Nino estime prendre suffisamment de recul. Il dort sur ses deux oreilles, assure-t-il. Mais n'aime pas trop le week-end, moment de fermeture de la bourse, car cela impacte négativement sa vie sociale.
Nino ne trade pas seul, mais avec des amis. Ils se poussent mutuellement.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)