«C'est dingue, on dirait qu'il joue à un jeu.» Les vidéos de l'agression d'Annecy ont tourné en boucle sur l'écran de la rédaction de watson, jeudi. Elles ont tourné partout, décryptées sur les chaînes d'info en continu et détournées politiquement sur les réseaux sociaux. «Putain...», «Mais il fait quoi?», «Pourquoi il revient sur ses pas?», «Je comprends pas ce que je suis en train de voir».
La scène est indicible, insoutenable. Mais personne n'a véritablement envie de réaliser.
Elle est plus insoutenable encore par son effarante humanité. Pas de mise en scène, de détonation qui terrorise la foule, de tirs dans tous les sens, d'anonymes ensanglantés. Un homme, en shorts noirs et baskets blanches, qui s'en prend à de très jeunes enfants, des parents, des passants, des poussettes. Dans un parc baigné de soleil. Et pour une raison qu'on ignore encore.
Sur les vidéos, bien sûr, on voit le coup de couteau dans le landau, on entend les cris de terreur des victimes et des témoins. Mais l'étonnante maladresse de l'assaillant ne colle pas à la gravité de son acte. On l'aurait voulu glacial, méticuleux, quasi robotique, déshumanisé. Comme les méchants dans les films, on voudrait que ce type n'existe pas.
C'est que, d'ordinaire, en pareil accès de cruauté solitaire, il n'y a pas de vidéo. Du moins, pas aussi précises, nombreuses, interminables et filmées sous plusieurs angles. Les seules images auxquelles on nous a habitués, sont celles de tueries de masse, Outre-Atlantique, prises par des caméras de surveillance froides et dont c'est le boulot.
On ne peut oublier le 13 novembre 2015 et ses scènes de panique, ses coups de kalaches qui glacent, ses vidéos amateurs tremblotantes, souvent floues et prises des balcons parisiens. En 2001, à New York, ce fut d'abord l'aspect aberrant, irréel et improbable de la scène qui avait figé le monde entier devant les téléviseurs. Quand deux avions s'enfoncent dans des tours, avec l'aisance apparente d'un quignon de pain dans une motte de beurre, l'être humain n'est pas capable, sur le moment, de saisir la vive atrocité de l'attentat. D'imaginer les travailleurs dans les étages, les terroristes et les passagers dans les avions.
A Annecy, ce 8 juin 2023, la parole des témoins n'était plus capitale pour comprendre les faits et imaginer la scène. Et si on imagine souvent le pire, il nous saute rarement au visage. Ici, le pire est sous nos yeux, insoutenable, maladroit, réel.
L'enquête nous dira si les actes d'Abdalmasih H., 31 ans, ont été commis sous les ordres d'un chef ou d'un Dieu, sous l'effet d'une drogue ou d'une secte. Ou rien de tout ça. La justice fera son travail. Dans les prochains mois, ces vidéos vont hanter les débats politiques, déjà tendus en France, sur l'immigration. Aujourd'hui, elles nous rappellent sèchement que l'horreur est humaine.