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Ukraine: «Poutine reprend une stratégie militaire de Staline»

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Image: watson

«En Ukraine, Poutine reprend une stratégie militaire de Staline»

Spécialiste des blindés, l’expert militaire suisse Alexandre Vautravers estime que la livraison de chars occidentaux à l’Ukraine peut être décisive, sous certaines conditions. Il analyse par ailleurs la situation du front.
13.01.2023, 05:4513.01.2023, 12:31
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Des blindés, certains légers, d’autres lourds, sont promis à l’Ukraine par des pays occidentaux: des Bradley, des Marder, des AMX 10, des Challenger, des Leopard 2. Ces blindés sont-ils adaptés à un sol gelé, actuellement la situation en Ukraine?
Alexandre Vautravers: A l’exception du blindé léger français à roues AMX 10, tous les autres chars sont chenillés et aptes à évoluer non seulement sur un sol gelé, mais également meuble, c’est-à-dire souple. Les plus lourds de ces chars, soit les Challenger et les Leopard 2, pèsent respectivement 65-70 tonnes et 56-60 tonnes.

Un très grand poids n’est-il pas un handicap dans des conditions hivernales?
Non. Le poids des chars est réparti sur toute la surface de la chenille. Si bien que la pression spécifique au sol est très faible, y compris pour les chars les plus lourds. Elle est comparable au poids d’un homme. L’emploi des chars chenillés est par conséquent adapté à un sol gelé ou recouvert de neige. Il faut pour cela préalablement monter des «crampons» à neige. Le Leopard 2, par exemple, un blindé que je connais bien, peut évoluer sur un sol recouvert de 1,20 mètre de neige, ou franchir une rivière à gué avec la même hauteur d’eau.

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Un char Leopard 2 comme en veut l'Ukraine. République tchèque, 21 décembre 2022.Image: EPA

«C’est de la désinformation»

Des internautes font observer que les ponts en Ukraine, conçus sous régime soviétique, ne sont pas faits pour résister au passage des blindés les plus lourds. Qu’en est-il?
C’est de la désinformation, car les infrastructures sont conçues pour résister à plusieurs camions de 40 tonnes. Ils résistent donc à deux à trois fois le poids maximal autorisé en temps de paix. Le passage d’un char chenillé sans à-coups ni changement de direction, en temps de guerre, ne pose pas de problème. L’armée suisse comme d’autres (Espagne, Suède, Finlande) ont d’ailleurs longtemps utilisé des chars poseurs de pont d’ancienne génération capables de supporter seulement 40 tonnes, et ce, sans aucun problème.

Qu’en est-il de l’efficacité des blindés à roues?
Leur poids est certes plus faible, entre 15 et 30 tonnes, mais la pression est répartie sur seulement 6 ou 8 roues, ce qui fait qu’ils s’enfoncent dans la neige comme dans un sol boueux. Dans le terrain, il faut d’ailleurs monter des chaînes.

A quel sol est adapté l’AMX 10?
Il est fait pour rouler sur route. Le grand avantage d’un véhicule blindé à roues, c’est qu’il peut rouler vite, jusqu’à plus de 80 km/h, ce qui est plus rapide que des véhicules chenillés. Autre avantage: la consommation en carburant. Les blindés à roues peuvent parcourir des centaines de kilomètres sans devoir être ravitaillés. Mais dès qu’ils rencontrent des obstacles, de simples trous d’obus par exemple, ou des gravats, ils sont obligés de rouler au pas, exactement comme un 4X4, et leur emploi est alors très limité. Ils sont incapables de tourner sur place et de franchir des obstacles ou des pentes importantes. Leur emploi en zone urbaine est donc très limité.

«L’Ukraine a changé de conception stratégique»

L’ensemble de ces blindés, s’ils sont bien livrés à l’Ukraine, pourront-ils faire la différence sur le terrain?
Tout dépendra de la façon dont ils seront utilisés. On peut imaginer deux cas de figure. Le premier cas de figure renvoie à la manière dont les Ukrainiens ont fait usage à l’été 2022 de systèmes d’artillerie reçus de l’Ouest. A cette époque, ils étaient tellement sous pression qu’il leur a fallu immédiatement dépêcher ces engins vers le front. Ce qui veut dire que ces matériels modernes et performants étaient dispersés par petites quantités sur le front. Si l’on procède à nouveau de la sorte, on remportera des engagements tactiques, qui feront ponctuellement la différence. Mais ce n’est pas ce que l’Ukraine recherche actuellement.

Que veut-elle?
Depuis le mois d’août, l’Ukraine est passée à une autre conception stratégique, qui consiste à former des bataillons ou des brigades faites de matériels homogènes. Je prends l’exemple d’une trentaine de chars de combat slovènes livrés à l’Ukraine. Ces chars sont réunis au même endroit, constitués avec des équipages appartenant à une même unité et instruits avant d’être envoyés sur le front. Si l’on ajoute, à présent et dans la même logique, des chars allemands, britanniques et français, on peut escompter, en créant un effet de masse, des succès plus importants que ceux obtenus par l’Ukraine l’été dernier. Ne serait-ce que parce que, contre des chars Challenger et Leopard 2, la Russie n’a actuellement pas de capacités équivalentes.

«Le volume de feu de l’artillerie russe a diminué»

Les blindés occidentaux s’exposeront cependant à l’artillerie russe…
L’artillerie russe comme l’ukrainienne ont été redoutables jusqu’ici. On estime que plus de 60% des pertes de chars de combat des deux côtés depuis le début du conflit ont été causées par l’artillerie. Simplement, le volume de feu de l’artillerie russe, de même que ses capacités d’observation, ne sont plus aussi élevés aujourd’hui qu’il y a six mois ou au début du conflit.

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«Comme Joukov et Koniev devant Berlin en 1945»

Comment voyez-vous le front évoluer, notamment à l’Est, autour de Bakhmout et Soledar, où les combats font rage? Quelles sont les tactiques russe et ukrainienne à cet endroit?
Côté russe, on assiste à une compétition interne entre différents groupes armés, avec pour objectif d’engranger des succès tactiques. Ce qui fait que les différentes unités russes se battent autant contre l’adversaire qu’elles se livrent une concurrence acharnée entre elles. C’est une situation difficile pour les Russes, qui a ses précédents: durant la Seconde Guerre mondiale, Staline avait mis en place une compétition entre ses généraux et ses maréchaux. Il l'avait fait pour la bataille de Berlin en 1945, demandant grosso modo à Joukov de passer par la droite, à Koniev de passer par la gauche, avec pour consigne que le meilleur gagne. On revit aujourd’hui côté russe cette forme de mise en concurrence des chefs militaires et des unités, voire des entreprises militaires privées – certainement avec des médailles, des promotions et des récompenses à la clé.

Cela peut-il marcher?
Dans la pratique, l’engagement russe actuel se fait au prix de pertes humaines très importantes. Il y aura peut-être des succès côté russe, mais il s’agira ensuite de les exploiter. Or il ne suffit pas de prendre une ville, encore faut-il disposer le lendemain de suffisamment d’hommes pour la tenir et continuer la bataille. Les contre-offensives ukrainiennes sont parvenues à reprendre en quelques jours, des secteurs que l’armée russe a mis des semaines à prendre au printemps 2022.

«Une course de vitesse entre Ukrainiens et Russes»

Il est question ces temps-ci de «grande offensive» côté russe. Doit-on s’attendre à cela?
En réalité, plusieurs offensives se préparent. On pensait passer un hiver relativement calme, or, depuis le mois d’octobre, les deux parties en conflit sont en train de rassembler des forces pour pouvoir lancer une, voire deux offensives au cours de l’hiver. Il faut envisager cela comme une course de vitesse, dans laquelle le premier qui passe à l’offensive peut espérer obtenir les gains territoriaux les plus importants. Des renforts russes ont été acheminés dans la région de Loughansk, essentiellement pour combler des pertes élevées à cet endroit. Autre possibilité: une offensive depuis la Biélorussie, mais il faudrait que les Biélorusses laissent faire, et qu’ensuite, la logistique russe suive, ce qui est tout sauf certain – comme l’avaient démontré les problèmes du printemps 2022 et l’immobilisation des forces devant Kiev.

Pareillement, doit-on s’attendre à une offensive ukrainienne?
Il y en a certainement une ou deux en préparation: du côté de Zaporijjia et peut-être en direction de la péninsule de Crimée. Des offensives majeures qui pourraient mettre à mal la situation de la Russie.

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