L’étau, comme le tabou, se resserre. A présent que la Finlande et la Suède ont demandé à intégrer l’Otan, les derniers Mohicans de la neutralité en Europe sont la Suisse et l’Autriche. Combien de temps encore résisteront-ils avant de rejoindre, eux aussi, l’Alliance atlantique? Concentrons-nous sur la Suisse.
«Le terme de tabou convient bien à la situation», estime Julien Grand, le rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse, l’organe de la Société suisse des officiers.
Le conseiller national centriste genevois Vincent Maitre envisage ce qui jusqu'à présent était inenvisageable:
Le conseiller national, vice-président du Mouvement européen suisse, «par principe favorable au regroupement des forces à l’international», ajoute, prudent: «Tout dépend de l’endroit où l’en entend mettre le curseur.»
Cet endroit, c’est peut-être ce qui assurerait le maintien, à l'inverse, précipiterait l’abandon de la neutralité, le tabou dans l’affaire. «La neutralité, c’est ce qui nous structure depuis le 19e siècle», se félicite le conseiller aux Etats radical vaudois Olivier Français, membre de la commission de politique de sécurité de la Chambre haute.
Pour le sénateur vaudois, «la réponse est claire»:
En juin, après le Conseil national la semaine dernière, qui l’a approuvée, à l’exception de la gauche et des vert’libéraux, le Conseil des Etats se prononcera à son tour sur l’augmentation de deux milliards de francs (de cinq à sept) du budget annuel de la Défense. «Nous avons aux Etats comme au National une majorité favorable à cette hausse importante du budget militaire. Bien évidemment, je voterai pour», confie Olivier Français.
Le conseiller aux Etats radical est d'avis que sept milliards de francs sont une somme qui devrait suffire à l’armée pour assurer «la défense du pays et de sa population», comme le stipule l’article 58 de la Constitution fédérale. En dehors de toute alliance militaire? «En dehors de toute alliance militaire», confirme Olivier Français. «Nous devons nous donner les moyens de notre autonomie de défense, ces sept milliards sont là pour ça», dit-il.
A ce propos, rappelle encore Olivier Français, les radicaux souhaitent que le Conseil fédéral signe sans plus tarder avec Lockheed, le fabricant américain, le contrat d’achat des 36 F-35. Et tant pis pour l’initiative populaire lancée par la gauche pour s’opposer à l’acquisition de cet appareil.
Soit, mais à partir de quel niveau d’armement considère-t-on qu’une armée est autonome? Sept milliards, est-ce assez? Peut-elle se contenter de moins?
Comme on le fait parfois de l’homme et de l’artiste, sans doute faut-il séparer l’armée de la neutralité, le moyen de défense de l’idéologie. A cette aune-là, les alliances politiques ne sont pas toujours celles qu’on attend. Si radicaux, UDC et socialistes ne sont pas d’accord sur les sommes devant être allouées à la Défense, cela va du simple au triple, ils s’opposent tous trois à une adhésion de la Suisse à l’Otan:
Le conseiller national socialiste vaudois Samuel Bendahan déclare sa flamme à la neutralité, qui permet selon lui à la Suisse d’être «force de paix» dans des conflits. La neutralité serait l’une des deux jambes avec la démocratie directe qui tient la Suisse debout. Le socialiste veut conserver l'une et l'autre.
«Pourquoi abandonner la neutralité, ce qui ne manquerait pas d’arriver si nous entrions dans l’Otan?», demande Samuel Bendahan.
Mais la Suisse n'est pas dans ce cas de figure, reprend le conseiller national vaudois. «Nous sommes au milieu du continent européen, protégés de facto par des pays membres de l’Otan, exceptée l’Autriche.»
Dans une interview à Blick, le président du Centre (ex-PDC) Gerhard Pfister, le jure: la Suisse doit rester hors de l’Otan. Mais il laisse la porte ouverte à des coopérations.
C’est dans cet entre-deux, ni adhésion, ni isolationnisme, que pourrait se situer le futur de l’armée suisse. Cet officier qui souhaite garder l’anonymat voit l'avenir ainsi:
Où l’on comprend qu’il n'est pas utile d’être membre de l’Otan pour en faire partie quand même. Ce qui fait dire à notre source militaire anonyme: