Hasard du calendrier, le procès du 11 septembre 2001 a repris ce mardi, alors que s'ouvre, ce mercredi, celui des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Et si la France a vu grand avec un tribunal bâti spécialement pour l'occasion et des audiences qui vont durer neuf mois, les Etats-Unis, eux, ne semblent pas pressés d'aboutir à un verdict.
Khaled Cheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats d'Al-Qaïda, est détenu depuis 2003, mais n'a jamais été jugé. Passé par plusieurs centres de détention de la CIA, l'homme a été soumis à de multiples sessions de torture. Un argument aujourd'hui utilisé par ses avocats pour faire invalider les preuves contre lui. Année après année, les autorités américaines ne cessent donc de repousser l'échéance.
Car rendre justice face à de tels actes n'a rien d'évident à écouter Olivier Meuwly, juriste et historien: «Aux Etats-Unis, on voit clairement qu'ils ralentissent la procédure. Peut-être parce qu'ils pensent que cela peut faire plus de mal que de bien.»
Lui craint notamment que le procès soit instrumentalisé par les accusés pour en faire une tribune pour leurs idées. «Mais on est coincés, on est obligés de les juger pour respecter le droit. C'est l'une des faiblesses normales de notre système démocratique, et nos adversaires s'en servent», analyse-t-il.
Si l'expert reconnaît que la logique judiciaire exige qu'un meurtre soit sanctionné, il souligne que les autres dimensions entourant l'événement risquent de poser problème. «On donne au droit une mission qu'il ne peut remplir. Un procès est là pour punir. On ne peut pas lui demander de restaurer la morale.»
Le juriste s'interroge aussi sur l'impact du procès sur les victimes. «Tout le paradoxe, c'est qu'on va être obligé d'écouter le mal. Car qui dit justice, dit compréhension de l'acte. Au final, peut-être que la peine sera plus nuancée que certains ne l'espèrent, ce qui peut créer d'autres frustrations.»
Pour Frédéric Esposito, directeur de l'observatoire de la sécurité à Genève, ce risque d'être déçu fait pourtant partie de notre démocratie. «Il faut faire confiance au système judiciaire, sinon c'est la vindicte populaire qui s'exprime.»
Le politologue regrette d'ailleurs que les Etats-Unis se soient enfermés dans une logique extra-judiciaire vis-à-vis du 11 septembre. «L'exécution de Ben Laden résout le problème symbolique, mais ne permet pas de comprendre les ramifications de cet attentat. Le temps judiciaire est aussi celui de la pédagogie.»
Psychologue-psychothérapeute spécialisée dans le soutien aux victimes, Patricia Failletaz va dans le même sens. «Un procès donne un sens au traumatisme des victimes et les oblige à se pencher sur le dossier. Cela fait mal, mais cela leur fait aussi du bien d'être reconnues.»
Si elle assure que la peine ne sera jamais à la hauteur de la perte subie, l'experte souligne que la Justice permet également de tourner la page. «Durant les années entre l'attentat et le procès, les gens sont dans l'attente que Justice se fasse. Certains ont beaucoup de peine à poursuivre leur vie sans cette étape cruciale pour passer à autre chose.»
Une partie des victimes du 11 septembre et leurs proches n'ont d'ailleurs jamais cessé de réclamer un procès. Au mieux, celui-ci aura lieu en 2023, soit 22 ans après.