
La «cybercondrie» est la sœur numérique de l’hypocondrie.Image: shutterstock
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Internet a amplifié les connaissances en matière de santé auprès de la population, mais aussi le risque de devenir un «cybercondriaque». C’est ainsi qu’on nomme les hypocondriaques qui, en faisant un peu trop confiance à Dr Google, soupçonnent une maladie grave derrière chaque symptôme.
18.10.2022, 09:2820.10.2022, 18:42
Sidonia Küpfer
Qu’est-ce donc que cette tache rouge sur le bras qui ne disparaît pas depuis des jours? Que cache une douleur au bas-ventre? Des maux de tête diffus ne pourraient-ils pas être le signe d’une tumeur cérébrale? Toutes sortes de réponses sont disponibles en seulement un clic, en tout temps. Elles sont le terreau d’une foule d’idées fantaisistes en termes de maladie.
Un terme technique pour décrire ce phénomène s’est même imposé depuis: la «cybercondrie», pour ainsi dire la sœur numérique de l’hypocondrie. Selon Brian Fallon, professeur de psychiatrie à l’Université Columbia de New York, qui est à l’origine de ce terme, 80% des hypocondriaques sont aussi des «cybercondriaques».
La tentation de trouver une réponse aux symptômes dans les profondeurs du World Wide Web est trop grande; Internet est le vecteur parfait pour interpréter chaque changement corporel comme un cancer ou une menace d’infarctus du myocarde.
Autant Internet a effectivement démocratisé les connaissances dans le domaine de la santé, autant les profanes courent le risque de se perdre à vouloir trouver des causes et de se rendre pour un oui ou pour un non chez le médecin, ou d’agacer fortement ce dernier.
Sur Internet (ça ne s’invente pas), on trouve une phrase qui avait été à l’origine affichée dans la salle d’attente d’un cabinet médical. Elle s’adresse aux patients avec une bonne dose d’humour:
«Les patients qui ont déjà obtenu un diagnostic via Google sont priés de demander un second avis médical non pas chez nous, mais chez Yahoo»
Piégés dans un cercle vicieux
Mais tout cela n’est drôle qu’au premier abord. En effet, les auto-diagnostics numériques peuvent provoquer des crises de panique ou des humeurs dépressives. Souvent, les angoisses de type hypocondriaque sont des phénomènes associés à des troubles anxieux et à des dépressions. Dans le pire des cas, les personnes concernées expérimentent des méthodes de traitement inappropriées. La psychologue Gaby Bleichhardt, collaboratrice scientifique à l’Université de Marbourg, a étudié en détail le phénomène de l’hypocondrie.
«Les hypocondriaques auraient tendance à angoisser même lorsque tous les examens médicaux sont rassurants»
Après une première phase de soulagement surviennent des questions telles que: Est-ce que le médecin a raté quelque chose? Les examens ont-ils été assez poussés?
Quels que soient les symptômes physiques, les hypocondriaques les perçoivent comme intenses, nocifs et invalidants. Leurs symptômes s’aggravent, car ils focalisent toute leur attention dessus. C’est un cercle vicieux: l’attention portée à son propre corps conduit à une perception accrue de sensations physiques, comme l’écrit Gaby Bleichhardt dans un de ses ouvrages.
«Plus on est convaincu d’être gravement malade, plus les symptômes potentiels de la maladie se manifestent. On trouve alors de plus en plus de preuves supposées d’être bel et bien malade. La plupart des patientes et patients souffrant d’hypocondrie ont peur du cancer, suivi des maladies cardiovasculaires et neurologiques.»
S’attacher à vivre plutôt qu’à ne pas mourir
Dans la région norvégienne de Bergen, il y a même une clinique spécialisée pour les hypocondriaques. Les patients y apprennent à mieux gérer leurs angoisses et à ne plus se perdre dans toutes sortes de scénarios dramatiques. Ingvard Wilhelmsen, professeur émérite et fondateur de la clinique, évoque le cœur du problème:
«Les hypocondriaques veulent contrôler la mort»
Ingvard Wilhelmsen
En conséquence, ils observent leur corps avec une précision sans pareille, et toute leur manière de penser et de ressentir les choses en est affectée. La thérapie comportementale vise à accepter la mortalité.
«Ainsi, ils peuvent s’attacher à vivre plutôt qu’à ne pas mourir»
Ingvard Wilhelmsen
La psychologue Gaby Bleichhardt part du principe que des périodes de stress accru dans la vie professionnelle et privée renforcent les tendances à l’hypocondrie, mais aussi les expériences effectives de maladie, de perte ou de menace. Les résultats de l’étude sur la santé CSS permettent de tirer une conclusion similaire. Ainsi, il n’y a pas que l’état de santé général qui s’est détérioré durant la pandémie de coronavirus.
La prise de conscience des conséquences de nos propres maladies et accidents graves s’est également modifiée et les maladies vécues entraînent plus souvent un changement de conscience qu’il y a deux ans. 17% des personnes interrogées déclarent que la maladie les a rendues plus anxieuses, contre 11% en 2020.
Les hypocondriaques ne simulent pas
De manière générale, il est trop simpliste d’associer les hypocondriaques à des personnes qui simulent, d’autant plus que leurs craintes peuvent être fondées sur des expériences réelles. La psychologue et psychothérapeute Franca Cerutti affirme à juste titre que «les hypocondriaques n’imaginent pas les maladies, mais partent du principe qu’ils souffrent réellement de quelque chose».
«Ce dont ils souffrent réellement, c’est de la peur de la maladie. Le fait de pouvoir chercher à tout moment tous les symptômes possibles dans Google n’aide pas vraiment à se calmer.»
Franca Cerutti, psychologue et psychothérapeute
Il n’est pas surprenant que beaucoup de personnes se sentent moins bien après avoir fait des recherches sur Internet. Selon Franca Cerutti, environ 5% des personnes craignent d’être gravement malades sans que ce soit détecté.
Toutefois, rechercher ce à quoi correspondent des symptômes sur Google ne fait pas automatiquement de nous des cybercondriaques. Il est essentiel de gérer consciemment les informations et sources disponibles sur Internet. Afin d’utiliser de façon responsable la foule de connaissances disponibles en ligne dans l’intérêt de sa santé, il est capital d’avoir un minimum de compétences en matière de médias et de santé. Cela réduit le risque de croire à de fausses informations ou à des demi-vérités.
Voici ce à quoi il faut faire attention lors de la recherche en ligne:
- Qui a publié les informations? Pour des profanes notamment, il n’est pas toujours facile de les avoir. S’il s’agit d’une publication à des fins journalistiques ou de pages sur la santé gérées de manière indépendante, il y a une forte probabilité de trouver des informations fiables. En cas de doute, un coup d’œil aux mentions légales du site Internet concerné peut aider. L’ordre d’apparition des résultats n’est pas un gage de qualité, car il est influencé par les mots-clés saisis et la façon dont les prestataires commerciaux agissent en faisant tout leur possible pour que leur site soit affiché parmi les premiers.
- Ce n’est qu’en cherchant correctement qu’on trouve de bonnes informations. Plus les termes sont choisis de manière spécifique, plus la probabilité d’obtenir un résultat de recherche adapté est grande. Cela limite dès le départ la recherche en ligne, qui est par essence infinie. Dans le même temps, une recherche précise n’empêche pas de tomber sur des informations imprécises. Avant de se lancer dans la lecture, il faut vérifier les références de l’exploitant du site. Il faut aussi faire attention à la date de mise à jour des contenus des sites Internet.
- Les promesses doivent mettre la puce à l’oreille: si quelque chose est présenté comme un remède miracle ou si des méthodes ou des moyens sont vantés, il faut se méfier, en particulier avec les formulations telles que «efficacité garantie à 100%». Si les sources sont sérieuses, les informations sur la santé sont transmises de la manière la plus objective et neutre possible.
- Il faut faire particulièrement attention aux forums où les personnes se sentant concernées s’expriment. Les déclarations sont souvent très subjectives et ne sont pas fondées scientifiquement.
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