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Quand des avocats vaudois gouvernaient la Suisse

Les sept premiers conseillers fédéraux vaudois ont fait du droit. 
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Les sept premiers conseillers fédéraux vaudois ont fait du droit.Image: Marco Heer
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Quand des avocats vaudois gouvernaient la Suisse

Sept des 36 premiers conseillers fédéraux étaient vaudois. Et tous étaient avocats. Ce qui n'a rien d'étonnant, car la jurisprudence avait une grande importance dans l'ouest de la Suisse.
30.12.2023, 06:4730.12.2023, 10:14
Christophe Vuilleumier / musée national suisse
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Le développement de la puissance savoyarde sur les terres du Pays de Vaud, à partir de 1247, et la mise en place par les comtes d’une administration faite de baillis, de châtellenies et de procureurs-fiscaux fonctionnant sur des instructions souvent écrites est venu se mêler d’une justice orale déjà complexe relevant de multiples seigneurs détenant des droits fort différents et bien souvent concurrents.

Les avocats issus du droit romain, formés dans des universités lointaines étaient alors une exception, car l’usage le plus répandu, par essence germanique et datant des époques antérieures, voyait de préférence un intercesseur «civil» récipiendaire des coutumes intervenir au nom d’un individu devant une cour. Un acteur que les sources historiques désignent sous le terme de «pourparlier» ou «avanparlier».

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Une rupture allait toutefois intervenir au XIVᵉ siècle. Face à des praticiens de la justice venus des cités méridionales, rompus au droit écrit, mais également pour pallier les risques d’une disparition d’un savoir oral mis en danger par les vagues successives de peste qui frappaient les terres vaudoises depuis 1347 et qui emportaient avec elles notaires, clercs, avocats et procureurs, l’évêque Aymon de Cossonay fit mettre par écrit le droit coutumier de Lausanne en 1368, afin de préserver et de mieux faire valoir les droits de la cité. Le Plaid général, source fondamentale pour les médiévistes romands, compilant des usages parfois très anciens apparaissait ainsi au cœur d’une crise sanitaire.

Une première corporation

Deux ans plus tard, le 15 mai 1370, l’évêque adoptait encore le règlement de la Confrérie de Saint-Nicolas, patron de tous les clercs et avocats. Cette confrérie allait donc réunir non seulement les experts du droit canon faisant foi en matière d’ordonnances ecclésiastiques, mais aussi les quelques rares juristes porteurs du titre d’avocat et les clercs détenteurs de la coutume. Une première corporation d’experts juridiques était née distinguant les pourparliers des avocats.

Sceau de l'évêque de Lausanne Aymon de Cossonay.
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Sceau de l'évêque de Lausanne Aymon de Cossonay.Image: e-periodica

Rares durant la période savoyarde, les avocats virent leur rang très légèrement augmenter pendant la domination bernoise, au gré des progrès déployés par les représentants de la cité de l’Aar dès 1536 pour organiser le corpus hétérogène de documents officiels et d’usages qui modelaient jusqu’alors le quotidien des Vaudois. Mais ce n’est qu’avec la fin de l’Ancien Régime et l’édification de son état moderne, à l’issue de la période napoléonienne, que le canton de Vaud vit croître l’importance de la profession d’avocat, tant au niveau social que politique.

Les troupes bernoises conquièrent le canton de Vaud. Gravure sur bois de Johannes Stumpf de 1548.
Les troupes bernoises conquièrent le canton de Vaud. Gravure sur bois de Johannes Stumpf de 1548.Image: Bibliothèque centrale de Zürich

Le XIXᵉ siècle vaudois allait ainsi être juridique, période de tous les superlatifs, des grandes idées et des petits projets. Le corpus de lois en augmentation constante devait progressivement creuser un fossé entre les villes, centres de connaissances académiques et foyers des experts du décret et de l’alinéa, et les campagnes encore largement ancrées dans des traditions qui avaient fait leurs preuves.

Terreau de conseillers fédéraux

Mais ce foisonnement juridique propulsa surtout sur la scène politique de nombreux avocats, non seulement sur les planches du parlement cantonal, mais aussi sur le plan fédéral. Et c’est presque sans étonnement qu’un observateur attentif à la fin du siècle aurait pu constater que le canton le plus représenté au sein du Conseil fédéral depuis 1848 était bel et bien le canton de Vaud avec des Henri Druey, Louis Ruchonnet, Constant Fornerod ou Victor Ruffy.

Le conseiller fédéral Henry Druey était membre du premier Conseil fédéral.
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Le conseiller fédéral Henry Druey était membre du premier Conseil fédéral.Image: Musée national suisse
Louis Ruchonnet a été membre du gouvernement fédéral pendant près de douze ans. Il est décédé en 1893 lors d'une séance du Conseil fédéral.
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Louis Ruchonnet a été membre du gouvernement fédéral pendant près de douze ans. Il est décédé en 1893 lors d'une séance du Conseil fédéral.Image: Musée national suisse

Le canton de Vaud s’imposait ainsi au cours du XIXᵉ siècle au sein de l’organe le plus élevé du pays, devant Zurich et Berne qui avaient respectivement placé au sein du Conseil cinq et quatre représentants. Sur les trente-six Conseillers fédéraux, sept furent vaudois, chacun d’entre eux ayant exercé la profession d’avocat. Cette importance vaudoise sur la scène fédérale est la résultante, somme toute assez logique, de l’intense activité que les pères fondateurs du canton et leurs successeurs déployèrent au cours du siècle, faisant du nouvel état un formidable atelier juridique.

Le tribunal fédéral de Lausanne, symbole suprême

Droit pénal, droits fondamentaux garantis par les Constitutions successives, droit fiscal, droit rural, droit des affaires, droit administratif, tous les aspects de l’art furent pensés, débattus, affirmés et contestés à maintes reprises au cours du long duel politique que Libéraux et Radicaux se livrèrent des décennies durant, et dont les principaux orateurs furent des avocats. Suprême symbole venant couronner l’excellence vaudoise en matière de droit, l’établissement, au travers de la Constitution fédérale de 1874, du Tribunal fédéral à Lausanne.

Le Tribunal fédéral à Lausanne sur une photo de 1898.
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Le Tribunal fédéral à Lausanne sur une photo de 1898.Image: Musée national suisse

Apparemment très éloigné des débats opposant les deux camps politiques régnant sur le canton, un projet de loi sur le barreau était voté le 25 novembre 1880, cinq ans avant la nouvelle Constitution vaudoise qui adoptait des principes de laïcité afin de répondre aux dispositions de la Constitution fédérale de 1874.

1898, l'année du destin

Dix-huit ans plus tard, l’histoire était en marche à travers le monde. Zola publiait en début d’année son J’accuse qui allait scinder la France; l’impératrice Elisabeth d’Autriche était assassinée à Genève le 10 septembre; et la guerre hispano-américaine prenait fin le samedi 10 décembre 1898 avec le traité de Paris. Ce même jour, alors que les diplomates américains et espagnols signaient le traité chassant les Espagnols du Nouveau Monde et donnant aux Etats-Unis un empire colonial, la quarantaine d’avocats exerçant sur le territoire vaudois fondait un organe représentatif de la profession, afin d’être représentés au sein de la Fédération des avocats suisses qui venait d’être créée.

L'assassinat de Sisi à Genève en 1898 a bouleversé le monde.
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L'assassinat de Sisi à Genève en 1898 a bouleversé le monde.Image: Wikimedia

Formée des sociétés zurichoise, bernoise, lucernoise, bâloise et genevoise, la Fédération s’était en effet fixé pour but, en octobre 1898, de provoquer la création de sections cantonales dans les cantons où des sociétés d’avocats n’étaient pas encore organisées. Organisé par Auguste Dupraz (1832-1906), et Louis Berdez (1839-1905), les doyens des avocats vaudois considérés par leurs pairs comme des autorités, l’Ordre des avocats vaudois était officiellement créé le 10 décembre 1898, prologue à une modernisation des cadres de surveillance du métier.

C’est Auguste Dupraz qui en fut nommé le premier président; président et non pas Bâtonnier! Tel avait été le vœu des fondateurs, exprimé dans l’article 4 des Statuts de l’Ordre, qui sans doute avaient préféré une terminologie plus associative que corporatiste. Durant la première partie du XXᵉ siècle, la compétition grandissante entre les avocats et les autres praticiens de la justice, tant vaudois que confédérés, viendrait nourrir un sentiment d’urgence et de défense de la profession, suscitant une posture plus élitaire de la part de l’Ordre.

Les débats en son sein portèrent ainsi à maintes reprises tant sur l’appellation du Bâtonnier que sur les ordonnances vestimentaires des avocats lors des plaidoiries, tant il est vrai que la «tradition» revêtait au XXᵉ siècle une importance aussi grande qu’au cours du XIIIᵉ siècle.

Des avocats en pleine discussion. Tableau d'Honoré Daumier, années 1840.
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Des avocats en pleine discussion. Tableau d'Honoré Daumier, années 1840.Image: Wikimedia

Elément fondamental de cette culture, l’humanisme joua durant des décennies un rôle éminemment important au sein de la communauté des avocats vaudois. Au cours de la Première Guerre mondiale, l’Ordre était ainsi intervenu officieusement à plusieurs reprises en faveur des réfugiés belges en Suisse, soulevant quelques contestations vite étouffées de certains membres, portant sur le respect de la neutralité.

En mars 1917, l’ancien Bâtonnier Aloïs de Meuron (1854-1934) alla même jusqu’à s’élever au sein du Conseil national, dont il était membre depuis 1899, contre les déportations en Allemagne de civils français et belges et prononça un discours qui n’est pas sans rappeler dans l’esprit celui d’André Malraux en 1964, et qui aurait eu le mérite de recevoir la consécration de l’Histoire: «Il faut savoir placer les intérêts moraux au-dessus des intérêts matériels. Et puis, à ceux qui ont peur, nous dirons qu’il ne faut jamais hésiter à remplir un devoir moral de la conscience supérieure, quelles qu’en puissent être les conséquences».

Cet esprit allait également s’exprimer au cours de la Seconde Guerre mondiale, la question juive suscitant de vifs débats au sein de l’Ordre, notamment entre Marcel Regamey, fondateur du Mouvement de la Renaissance Vaudoise, et l’ancien Bâtonnier Charles Gorgerat. L’Ordre allait opter pour une résistance passive aux préjugés qui animaient alors de nombreuses personnes, tout en évitant prudemment de se prononcer sur les mesures prises par l’administration vaudoise.

>>> Plus d'articles historiques sur: blog.nationalmuseum.ch/fr
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