Le folklore raconte que frotter ou chevaucher la virilité généreuse de Victor Noir, dont le bronze git sur le dos au cimetière du Père-Lachaise, stimule la fertilité. Si cette superstition restera éternellement à démontrer, l'extrême oxydation du renflement de son pantalon prouve que l'on y a cru très fort.
Sans compter que la statue du pauvre journaliste assassiné par Pierre-Napoléon Bonaparte, à l'âge de 21 ans, a longtemps subi le même sort au niveau des lèvres, car la rumeur (et certaines cartomanciennes) voudrait qu'en l'embrassant, une femme puisse se dégoter un mari dans l'année.
Sans aller jusqu'à accuser les touristes de nécrophilie, la capitale française a fini par réagir au succès historico-sexuel de la proéminence de Victor Noir, en 2004. Et en se cachant derrière une loi qui punit la profanation: «Toute dégradation par graffitis, frottements indécents ou tout autre moyen est passible de poursuites, selon l'article 225-17 du Code pénal», lit-on désormais devant les barrières qui interdisent l'accès au gisant.
Si on vous parle de la bosse flatteuse de ce journaliste français, ce n'est pas tout à fait gratuitement. Cette semaine, en Allemagne, trois statues dont les poitrines ont été exagérément usées par les caresses des passants trustent l’actualité. A Munich, Berlin et Brême, dans une campagne plutôt réussie, l'association féministe Terre des femmes et l'agence Scholz & Friends ont uni leurs forces pour sensibiliser les passants au harcèlement sexuel.
En 2018 déjà, une association militante avait rajouté un panneau #MeToo derrière la sculpture de Juliette Capulet de Shakespeare, à Munich, et un journal allemand avait dégoupillé ce débat sensible avec une question un poil provoc: «Peut-on agresser sexuellement une statue?»
Si ce débat est encore loin de s'éteindre, il faut avouer que les statues maltraitées par des touristes incapables de toucher avec les yeux sont légion sur la planète. Pour rester dans le drame shakespearien, la Juliette italienne, érigée à Vérone, n'est pas épargnée par une superstition qui voudrait qu'en caressant ses seins, on vise l'amour éternel. Soit.
Hélas, il est beaucoup plus probable que ce réflexe tactile soit issu du même effet de troupeau que l'infâme tic qui pousse les vacanciers à faire semblant de retenir la tour de Pise. Dit poliment: une fois en meute, l'être humain n'est pas toujours le couteau le plus aiguisé du tiroir. Les gens tripotent? Alors on tripote aussi. Et pas que les poitrines des femmes ou la verge imposante de Victor Noir.
En voici quelques exemples.
Baptisée Joyful Youth (jeunesse joyeuse), cette oeuvre réalisée par l'artiste Miloš Zet était exposée dans la cour de la Maison des Enfants, à Prague, depuis 1965. En 2016, suite à la rénovation des lieux, la capitale tchèque va ranger ce bronze dans le dépôt de la galerie de la ville.
L'Espagnol José María López Lledín est arrivé à La Havane par la mer, le 12 décembre 1913, à l'âge de 12 ans. Surnommé «El Caballero de París» (le chevalier de Paris), il deviendra le vagabond le plus populaire de Cuba. José, qu'on disait «fou», sera également emprisonné pour «un crime qu'il n'a pas commis», en 1920. Il décédera le 11 juillet 1985, à l'âge de 85 ans.
Sa dense barbe de bronze, immortalisée par le sculpteur José Villa Soberón, confère confort et prospérité à celui ou celle qui la caresse.
Toucher le nez conquérant du 16e président des Etats-Unis, c'est s'assurer d'une vie gorgée de chance(s). Alors qu'un majestueux obélisque domine cette sépulture érigée au cimetière d'Oak Ridge, à Springfield dans l'Illinois, c'est le pif d'Abraham qui prend toute la lumière. Pour dire, à force qu'on lui triture les narines, un forgeron est régulièrement dépêché pour combler les petites fissures.
D'autant que son sculpteur n'est pas tout à fait le premier venu, puisque Gutzon Borglum est aussi l'auteur du célèbre Mont Rushmore, où Lincoln partage un gros bout de roche avec ses comparses Thomas Jefferson, George Washington et Theodore Roosevelt.
Trois pays, trois villes, trois grosses bestioles à testicules proéminents. Si, à New York, les naseaux, les cornes et les couilles du taureau de Wall Street promettent une fortune monstre à celui qui les tripote, à Milan, c'est plus compliqué. La célèbre mosaïque qui habille le sol de la Galleria Vittorio Emanuele II demande une certaine dextérité. Une fois son talon droit sur les parties génitales du taureau, le touriste doit réussir trois tours sur lui-même pour que ça puisse lui porter chance. Attention à l'entorse.
Enfin, à Laguiole, en France, il suffit de palper la virilité de l'animal pour s'offrir «bonne fortune et fertilité». Simple la vie, non?
L'hôtel Paris Monte-Carlo, à Monaco, abrite une superstition beaucoup plus précise et... intéressée. Toucher le genou droit du cheval de Louis XIV est censé offrir de la chance et une grande fortune à ceux qui vont ensuite claquer leur fric au casino d'à côté. Pratique!
Greyfriars Bobby est le skye-terrier plus aimé et le plus respecté du Royaume-Uni. Ce petit bronze d'Edimbourg, qui est devenu un véritable emblème national pour les Écossais, rend hommage à l'amitié entre Bobby et son maître, qui survivra à la mort du Monsieur, un policier terrassé par la tuberculose en 1858. Malgré une interdiction formelle, ce petit chou ira dormir toutes les nuits sur la tombe de son daddy, jusqu'à sa propre mort, quatorze ans plus tard.
Aujourd'hui, les propriétaires de skye-terrier se bousculent pour caler leur boule de poils à côté du héros. Et sachez qu'en frottant la truffe de Bobby, c'est un grand symbole de fidélité que vous égratignez:
Un succès nasal qui va pousser la capitale à ne pas restaurer la statue. Immortalisé dans une nouvelle écrite en 1920, Bobby verra sa vie adaptée au cinéma, dans un Disney sobrement baptisé Greyfriars Bobby.