Depuis la déferlante TikTok, certaines musiques explosent. C'est le cas de Øneheart, une trajectoire adossée aux réseaux sociaux, le coeur du réacteur de sa percée soudaine. Sur la plateforme chinoise, sa partition «Snowfall» a été utilisée et entendue des millions de fois. Ce son atmosphérique, ultra planant et saigné comme un hymne à la solitude, lui a offert une vitrine exceptionnelle. Dans le langage crypto-virtuel, l'artiste électronique est tout simplement devenu viral.
Un succès fulgurant pour ce gamin de 17 ans, Dmitry Volynkin. Le musicien russe est devenu une nouvelle figure, avec près de sept millions d'auditeurs sur Spotify; sur TikTok, le morceau «Snowfall» est le sixième son le plus utilisé sur la plateforme. En juillet 2023, ce sont près 1,2 million de vidéos qui ont utilisé la musique et compilé près de 11,1 millions de likes.
Un succès colossal pour un morceau obsédant, qui résonne comme une composition rassembleuse pour les mélancoliques de la Toile, laissant leur vulnérabilité s'exprimer au milieu des notes qui glissent - comme des flocons. Il n'est pas question d'air de violon aux longs sanglots, même si le vertige est semblable. On parle là d'électro, où de nombreux internautes se filment en laissant perler quelques larmes sur leur bobine. Parfois, ils capturent leurs tribulations au milieu d'une époque trop lourde à supporter.
Il est là le fonds de commerce de l'ado: sous les publications de son compte Instagram, ses (jeunes) fans prisonniers de la solitude l'adoubent.
Certains, outre des pensées suicidaires étalées dans les centaines de messages, parlent d'une chanson qui «permet à leur âme de se sentir mieux», rembobinant le passé, narrant le présent et le futur dans un même morceau. D'autres considèrent même «Snowfall» comme «une oeuvre majeure du classique moderne». «Si beau et si triste à la fois», écrivait une autre internaute.
Une avalanche de compliments qui démarre grâce à un ingrédient typique de la culture russe: la «toska». Ce désespoir russe qu'une pléthore d'analystes en herbe ne parvient pas à restituer avec des mots. Un état intraduisible ou tout simplement un état qui doit être et non pas exprimé, rédigeait Russia Beyond.
Un spleen qu'un autre groupe, biélorusse cette fois-ci, Molchat Doma, incarne tout aussi bien avec sa coldwave mélancolique. Les synthés et les boîtes à rythmes aident à dégorger des accents dépressifs et figés dans une ère post-soviétique. Une formation devenue les idoles d'une génération désenchantée, propulsée grâce à TikTok également et désormais hymne d'une tendance surnommée «doomer». Le mouvement prend forme auprès d'individus qui portent un regard noir sur la société, préoccupés par un effondrement prochain de la civilisation et reconnaissables avec un meme - un visage blanc et blafard, les yeux cernés et coiffé d'un bonnet.
Le désarroi russe fait recette et s'exporte à travers le monde. Plus de 423,6 millions de streams sur Spotify plus tard, Øneheart se dresse comme une figure (ou en passe de l'être) de l'électronique sombre. Ce mélange de genres (wave, ambient et phonk) qui s'assemblent pour créer des mélodies à la fois éthérées et modernes, parlent aux âmes chagrines des Pourquoi ce phénomène musical incarne le mal-être des Tiktokeurs désabusés par la vie, s'affichant sur les réseaux mais désireux de s'effacer de la surface du globe. C'en devient presque romanesque.