Chasseur d'étoiles (2021), Phoenix (2019) L'Everest (2016): c'est quoi cette obsession pour les cieux dans vos derniers albums? Vous ne vous sentez pas bien sur terre?
Soprano: J'ai les pieds sur terre, mais j'ai besoin de garder la tête dans les nuages. Continuer à rêver me permet de préserver ma part d'enfance que l'âge adulte essaie de bâillonner. C'est important de suivre ses rêves.
Mais suivre ses rêves, en France, quand on s'appelle Abdelkrim et pas Justine, c'est aussi facile que ça?
Lorsque j'étais ado, jamais de ma vie, je n'aurais pensé pouvoir m'acheter ma propre maison. J'étais socialement endoctriné, convaincu que j'allais vivre dans un HLM toute ma vie. C'est un conditionnement de la vision de la vie inacceptable pour un jeune.
Dans cette société justement, la tendance rap qui plait à la majorité de la jeunesse en ce moment c'est la trap, la drill. Or, Chasseur d'étoiles parle aux fans des années 80. Pourquoi ce virage à 180° vers la retrowave?
Au cours de ma carrière, j'ai toujours suivi mon instinct. J'ai autant rappé que chanté. J'ai autant voulu faire rire que faire réfléchir. Là, durant le confinement, j'avais envie de faire un album concept qui tourne autour du chasseur d'étoiles. Cela avec des références clés. Et les années 80 sont partout actuellement. C'était donc une évidence. Mais il fallait que le projet soit porté par des messages forts.
Des messages forts que, paradoxalement, vous transmettez à travers des rythmes légers, même amusants...
C'est un pied de nez aux extrêmes. Pourquoi forcément parler de messages tristes avec une musique triste? Je pourrais faire passer mon discours à travers un rap conscient et des codes à l'ancienne, mais beaucoup de jeunes se demanderaient ce que ce vieux cherche à leur raconter! (Rires) Les faire réfléchir tout en les faisant danser, c'est la meilleure manière que j'ai trouvée pour les atteindre. Et cette forme me ressemble.
Si votre truc à vous, c'est fédérer, positiver, à qui s'adresse l'egotrip technique Bruce Lee? A ceux pensant que le rappeur qui chante aurait perdu sa «street credibilité»?
Comme vous l'avez dit, c'est un egotrip - une posture. Donc le morceau ne vise personne en particulier. Mais c'est vrai que beaucoup disent: «Ah ouais Soprano il fait de la variété». Il y avait une envie de ma part de montrer que Soprano est encore capable de kicker, même après 25 ans de carrière.
Lesquelles?
Mes enfants, par exemple. Ils écoutent ma musique donc je ne peux pas me permettre de faire une musique hardcore pour notamment m'assurer une «street credibilité». Et de toute façon, ça a toujours été contre mes valeurs. Je me dois d'être cohérent avec moi-même. Et dans la rue, il n'y a finalement rien de plus respectable.
Pourtant, la rue, d'autres en ont une définition différente et pensent que le rap qui en émerge doit être lié à une image violente. Vous en pensez quoi?
Ce qui est bien avec internet, c'est qu'il y a du rap pour tous les goûts. Il y a PNL, Ninho, Orelsan ou Nekfeu. Soprano et Maître Gims pour quelque chose de plus familial. Je peux comprendre que d'autres rappeurs à polémiques soient appréciés par les jeunes car notre société marche comme ça. C'est dommage. Le rap que je fais n'est pas là pour diviser.
Donc vous affirmez toujours faire du rap?
Oui. Le rap, à la base, est là pour pointer du doigt un problème et montrer comment on peut s'en sortir. Il ne doit pas être le problème et ainsi enfoncer toute une génération qui va prendre pour exemple les paroles délivrées.
Vos messages positifs sont entendus dans votre art. Qu'en est-il de vos actes - dans la vraie vie - tout aussi positifs, mais sur lesquels vous semblez plus silencieux?
Si je ne m'exprime pas publiquement - dans la vraie vie - quand il y a un problème avec la communauté noire ou musulmane, c'est parce qu'en réalité, ça ne sert à rien. Sur Internet, dès que tu dis quelque chose, tout est sorti du contexte et lapidé. J'aide en coulisse. Dans mon quartier, au Téléthon. Je n'ai pas besoin qu'on dise de moi que je suis gentil. Je m'en fous. Et quand je me rends sur The Voice en tant que juré noir, musulman et en casquette, c'est une réussite pour les minorités dans le sens où cela met un gros coup de poing aux extrémistes.
Samedi vous serez à Lausanne, au Stade de la Pontaise. Première fois que vous vous rendez dans ce lieu, même si la ville ne vous est pas étrangère...
Oui c'est vrai. Lausanne est le premier endroit où j'ai enregistré hors de la France. Je m'étais rendu dans les studios de Sens Unik, au Flon. J'écoutais aussi beaucoup ce que d'autres artistes romands faisaient comme Double Pact ou Stress.
Et vous connaissez la nouvelle génération de rappeurs suisses romands? Comme Slimka, Makala ou encore Arma Jackson?
Je connais la musique de Slimka. Mes amis les plus passionnés par la culture urbaine s'intéressent à ce qu'il fait. Mais voilà, ce sont des passionnés. Malheureusement, le rap suisse n'est vraiment connu outre-frontière que par les aficionados. Du moins, j'ai l'impression. Mais je souhaite aux artistes suisses le même succès que les artistes belges qui ont percé en France ces dernières années. Ils sont talentueux, ils méritent la même visibilité.