«Cette chanson est incroyable, biblique, céleste, déchirante et réconfortante à la fois. Vive les Beatles.» Une déclaration d'amour qui est sortie de la bouche d'un fils spirituel, jeudi, trois heures avant la publication du «nouveau morceau des Beatles». Sans surprise, Liam Gallagher, talentueuse petite frappe d'Oasis, a eu la chance de poser une oreille sur Now And Then bien avant la populace.
Et puis, comme à son habitude, le chanteur lèvera très vite la cuvette des chiottes pour exprimer combien un inédit des Fab Four sera toujours une bénédiction.
Difficile de faire plus juste que le cadet du groupe de Manchester. A un détail près: ce n'est pas une chanson des Beatles. Et ça ne le sera jamais. En revanche, considérer cet inédit comme un infime échantillon de ce que le grand John aurait pu offrir, s'il n'avait pas été buté en décembre 1980, permet de cracher une larme. Car dès les premières secondes de Now And Then, c'est bien Lennon qui renaît sous cette satanée pluie de novembre. Comme si 1979, figée dans une mélodie abandonnée, n'avait jamais accouché des années huitante.
Et ce n'est pas tant l'intelligence artificielle qu'il faut remercier. Si la technologie a permis de rendre la voix de John «claire comme le cristal», d'isoler le piano sur lequel il enregistrera ce bout de bande conservé précieusement par Yoko Ono, c'est bien l'âme du messie de la pop qui se dépose délicatement dans les poitrines du XXIe siècle. D'autant que les puristes des Beatles connaissaient déjà la ballade. Bien sûr, elle ne s'appelait pas encore Now and Then. Elle ne s'appelait même pas du tout, mais se dégustait sur des copies pirates négociées sous le manteau, par ceux qui n'ont pas besoin d'une machine pour digérer un shot d'inachevé.
Le micmac technique qui a dû être mis en branle pour en faire un morceau considéré comme terminé, et qu'importe l'aide technique du papa du Seigneur des anneaux, ne changera rien à cette petite chair de poule originelle. Et puis, c'est déjà rassurant de découvrir que l'immense entreprise de transformation, et le logiciel bien nommé «MAL», n'a pas totalement salopé la matière première.
Dans ce doux vestige d'une époque qu'on adore cloner jusqu'à la déraison, on retrouve tous les Beatles aux choeurs, Paul à la basse et aux claviers, Ringo à la batterie et George à la guitare. Oui, même Harrison, avant sa mort en 2001, a fait trembler ses cordes, discrètes, sur ce qu'il considérait pourtant comme une «putain de connerie». Dans une interview franche du collier, datant de 2012, Paul McCartney avouera que George avait «totalement disjoncté». Avant de dévoiler un échange particulièrement tendu entre les deux musiciens.
Il faut préciser que Now And Then n'est pas un tube fourni clé en main par John Lennon et qu'il a fallu déployer les échafaudages pour lui construire un mur porteur et quelques couplets.
Comme au bon vieux temps de la formule magique Lennon-McCartney (et les guerres fratricides qu'elle drainait), Paul s'est alors attelé à terminer l'oeuvre que John avait bricolée dans sa cuisine du fameux Dakota. Le building new-yorkais devant lequel Mark David Chapman lui ôtera la vie, quelques mois plus tard. En 1979, les fans, ces êtres éternellement insatisfaits, accusaient Lennon de n'être devenu qu'un papa poule, délaissant la musique pour torcher le cul de son fils Sean à plein-temps, âgé de quatre ans l'époque.
Une fois l'armature consolidée, et comme il l'avait promis en 1995, McCartney a pris un jour son courage à deux mains pour présenter la chanson à la veuve d'Harrison, Olivia Trinidad Arias, et ses ayants droit. Loin des chamailleries de l'époque, le OK atterrira promptement sur la table. Même le solo de guitare slide que Paul rajoutera par la suite, histoire de muscler un poil le travail de George, passera aisément la rampe. Le tout sera mis en boîte par un certain Giles, fils de l'illustre George Martin, considéré à l'époque comme «le cinquième Beatles» et qui produira tous les albums du groupe.
Quel bordel, quand même, pour une bouffée de déclarations d'amour qui n'ont jamais eu la véritable prétention d'être écoutées sur Spotify, plus de cinquante ans après avoir été écrites en slip, entre deux petits pots de bébés.
Now And Then n'a pas la même vocation que le nouvel album des Rolling Stones, eux qui ont sué pour masquer l'épreuve du temps, en conviant Jimmy Fallon pour vernir Hackney Diamonds et en déshabillant Sydney Sweeney dans une décapotable, histoire de bricoler un clip de rockeurs. Now And Then, en vérité, ne sert à rien. Si ce n'est peut-être promouvoir la double anthologie des Beatles qui, comme par magie, doit sortir du coffre-fort la semaine prochaine.
Now And Then n'est pas une chanson des Beatles, mais se déguste comme un très bon chocolat chaud réchauffé au micro-ondes. Et n'a pas grand-chose à faire à côté de With A Little Help From My Friends. Des amis qui, d'ailleurs, n'ont pas tant aidé la mémoire de John, sur ce coup-là. Et qu'importe que Paul croit dur comme fer, encore aujourd'hui, que Lennon aurait été ravi de débouler, le 2 novembre 2023 à 15h00 tapantes, sur YouTube.