Difficile de mettre le son de Khruangbin dans une seule case. Des ambiances feutrées qui dérivent librement entre le surf rock, le disco iranien, la soul du Moyen-Orient, le dub jamaïcain et le funk thaïlandais. Une mosaïque instrumentale aux vagues relents psychédéliques, mais toujours délicate, envoutante, presque timide. Une musique que l'on s'imaginait mieux mûrir dans l'ombre d'une playlist chill-out de Spotify, plutôt que fleurir sous les lumières de la notoriété mondiale. C'est pourtant le deuxième scénario qui, contre toute attente, s'est produit.
Le guitariste Mark Speer, leader du groupe, est le premier à être surpris. «Je ne comprends toujours pas», confiait-il au New York Times, en 2020. «C'est de la musique principalement instrumentale, jouée par un groupe au nom imprononçable».
Les chansons du trio texan «ne sont pas des tubes», commentait le quotidien américain. «Et c'est peut-être le but: c'est quelque chose de différent». Qui a réussi à percer le brouhaha ambiant dans une ère «où la musique est bruyante et ses interprètes le sont encore plus».
Peu importent les causes, finalement. Les faits leur donnent raison. Aujourd'hui, Khruangbin peut compter sur une fanbase globale, aligne des dizaines de millions de streams sur Spotify et se produit dans les plus gros festivals du monde.
Les débuts sont beaucoup plus modestes. A l'origine, Khruangbin ne devait donner qu'un seul concert, dans une salle de spectacle aujourd'hui disparue. C'était à Houston, leur ville natale, en 2011. Le groupe avait bricolé quelques autocollants et une cassette, rappelle Texas Monthly. Leur performance ne fait pas grande impression, ce soir-là, devant «un public peu enthousiaste venu principalement pour voir la tête d'affiche».
Les choses ne s'améliorent pas vraiment par la suite. «Tout le monde s'en fichait», résume joliment le batteur DJ Johnson.
Les trois musiciens ne se laissent pas décourager, et décident malgré tout de continuer. Car il s'agit avant tout d'une histoire d'amitié. Mark Speer et DJ Johnson se connaissent depuis 2004, lorsqu'ils jouaient dans le groupe de gospel de l'église méthodiste St. John's, à Houston. Le premier à la guitare, le deuxième à l'orgue.
C'est pendant ces interminables sermons en musique du dimanche matin que les racines de Khruangbin ont pris forme, retrace Texas Monthly. «Nous devions changer constamment de dynamique, réagir à la façon dont le pasteur parlait», explique Mark Speer.
Une dynamique que l'on retrouve dans la musique du trio, complété quelques années plus tard par Laura Lee Ochoa. La future bassiste fait la connaissance de Mark Speer en 2007. Les deux partagent une passion commune pour la musique afghane et l'architecture du Moyen-Orient. L'alchimie est instantanée. Sous la direction du premier, elle apprend à jouer de la basse et quitte son job de prof de maths.
Le groupe est né. Il ne manque plus qu'un nom. Laura Lee Ochoa, à l'époque en train d'apprendre le thaï, suggère d'utiliser son mot préféré: เครื่องบิน, orthographié Khruangbin, qui veut tout simplement dire «avion».
Si le processus créatif du groupe peut prendre plusieurs formes, ses albums sont toujours assemblés au même endroit: une vieille grange appartenant à la famille de Speer, située en pleine campagne.
Au début, le bâtiment n'est même pas terminé. Une bâtisse en tôle avec des sols en terre battue, peuplée d'oiseaux et d'insectes, mais qui permet aux trois d'«être tranquilles». Et de rentrer en résonance avec la nature environnante, sous les yeux paisibles des vaches.
Le titre du premier single du groupe, «A Calf Born in Winter» («un veau né en hiver», en français) décrit par ailleurs une scène à laquelle les trois ont assisté sur place. Publiée en 2014, la chanson contient déjà tous les ingrédients fondamentaux du Khruangbin-sound - des guitares humides et réverbérées, une basse pulsante et une batterie légère et minimaliste.
Surtout, le morceau attire l'attention de Bonobo, célèbre DJ britannique qui avait rencontré Speer et Ochoa en 2010, alors qu'ils étaient en tournée avec un autre groupe. Le producteur inclut la chanson dans sa compilation «Late Night Tales». Et là, relate le New York Times, «quelque chose de bizarre se produit»:
La compil' prépare en quelque sorte le terrain au succès du groupe. Qui commence à trouver une audience au Royaume-Uni, puis, progressivement, à l'étranger, avant même d'être connu au Texas.
Les albums suivent. Le premier, The Universe Smiles Upon You (2015), s'appuie fortement sur le funk thaïlandais des années 1960, tandis que le suivant, Con Todo El Mundo (2018), s'inspire du post-disco et de la soul iraniens.
Entre 2018 et 2019, les choses commencent à s'emballer. Des morceaux de Khruangbin sont inclus dans de populaires séries télé (Barry et The Blacklist), le trio ouvre pour le légendaire groupe de hip-hop Wu-Tang Clan, Jay Electronica rappe sur leur chanson A Hymn et Jay-Z devient fan.
C'est la consécration. Le groupe enchaîne avec les deux EP Texas Sun (2019) et Texas Moon (2021), réalisés en collaboration avec le chanteur Leon Bridges. Le troisième album, Mordechai (2020), cristallise la fatigue engendrée par leur incessante activité live et, pour la première fois, introduit des paroles.
Celles-ci disparaissent à nouveau sur leur dernier opus, A La Sala, publié début avril. L'album reprend l'ambiance torride et nerveuse de Con Todo El Mundo, confirmant, une fois de plus, le style unique du trio texan. Comme le résume Pitchfork:
«Ma musique n'était pas censée être compliquée. Je voulais juste qu'elle soit simple, jolie et mélancolique», résume humblement Mark Speer. La recette d'un succès inattendu - à découvrir ce mardi sur la plaine de l'Asse, dès 19h45.
Cet article a été originairement publié le 6 avril 2024. Il a été mis à jour à l'occasion du passage de Khrunagbin à Paléo.