Sa première série pour Amazon Prime Video, Too Old to Die Young, sonnait comme une pellicule de dix heures célébrant les obsessions du Danois. De la violence, des néons rosés, des lumières qui dessinent des visages impassibles, des corps couchés dans la pénombre, pour ne laisser que les dernières parcelles d'humanité louvoyer dans l'ombre.
Des travellings et des plans fixes récurrents, des personnages mutiques; les sentiments semblent autant figés que les figures narratives de Nicolas Winding Refn, les acteurs et les actrices ne sont que des pions dans cette violence latente et parfois frontale. Et nous, spectateurs, avons cette étrange sensation, devant les formules sentencieuses et la mise en scène qu'on peut facilement taxer de prétentieuse, d'être face à cette maxime souvent éculée: méfie-toi de l'eau qui dort.
Copenhagen Cowboy ne déroge pas à la règle (édictée par Winding Refn lui-même) et la palette est visible dès les premières minutes et les premiers balbutiements de ce trip violent et halluciné. Les partitions de Cliff Martinez continuent de nous bercer avec une mélodie souvent insaisissable, conjuguée au voyage hypnotique et furieux d'une femme mystérieuse, affublée de son survêtement bleu. A la manière du blouson légendaire de Ryan Gosling dans Drive.
Cette fois-ci, c'est une figure féminine, le cowboy est en fait Miu (Angela Bundalovic), une porteuse de chance catapultée dans une ferme gérée par la pègre albanaise. La mère maquerelle désire enfanter, mais les années ont fait leur œuvre et la voilà face au (terrible) dilemme biologique. Le visage juvénile du porte-bonheur sur pattes découvre un repaire étrange, un monde quasi souterrain en marge de la capitale danoise. Des prostituées parquées à côté d'une porcherie, et une famille qui fonctionne en sous-main, et un mari (Sven), un porc (dans les deux sens) qui habitent une ferme aux tapisseries criardes.
L'épopée aux néons omniprésents fleure bon les séries (et les récits) ovniesques tout droit sortis de la psyché du Danois. Copenhagen Cowboy reprend les codes du cinéma par ses fulgurances, par ses instants empreints de grâce et parfois coupables de lourdeurs. Ces traversées hypnotiques (et ultra violentes) que NWR adore mettre en scène, animé par ce désir obsédant d'intégrer des scènes et briser un déroulement narratif dit classique, souffrent de longueurs.
Une réalisation et une écriture qui peuvent épuiser à la longue, tant la série est étrange, tant l'identification des personnages est impossible. Mais force est de constater que NWR brise les codes et les algorithmes d'une plateforme comme Netflix. Mais parfois, Copenhagen Cowboy, aussi virtuose soit-elle par moment, aussi sublime plastiquement, interroge. Notamment par cette sur-stylisation et cet immobilisme pouvant ennuyer sur ces six heures de visionnage. La percée est rude, parfois usante, sauf qu'elle a cet élan ténébreux, incertain, tel un conte de fées néo-noir.
La quasi abstraction du récit, d'une quête vengeresse incarnée admirablement par Angela Bundalovic, nous ferait presque aimer viscéralement l'entreprise de Winding Refn. Poussée à l'extrême, l'énigme du Danois nous amène à penser à une multitude de références, à étaler nos réflexions au fil des épisodes qui défilent. Mais dans ce bain de violence silencieuse, le classicisme n'intéresse guère NWR. Il préfère s'amuser à prendre son chevalet, s'assoir et s'adonner (au mépris du public) à sa propre œuvre d'art. Sans limite aucune.