En 2000, dans le film Snatch, Brad Pitt accepte d'incarner un boxeur irlandais noyé dans un accent manouche à couper au tesson de bouteille de scotch. Et on n'est pas loin de considérer ce rôle comme son meilleur. Pourquoi? Parce que le cinéma de Guy Ritchie, c'est un peu le défouloir récréatif des stars d'Hollywood. C'est un clip vidéo qui ne s'embarrasse pas d'un groupe de rock. C'est cette petite voix dans notre tête qu'on refuse d'écouter, histoire de conserver un semblant d'allure.
Le cinéaste de 55 ans, fondamentalement anglais et dangereusement lui-même, dégage la même énergie qu'un garnement des banlieues londoniennes à qui l'on confierait un cran d'arrêt et une caméra. Ses effusions de sang, entre humour british et violence crue, c'est du Romanée-Conti de 2002 que l'on aurait le droit de boire au goulot. Alors, forcément, tout est cruel mais sexy, fastueux mais faisandé, grandiose mais absurde, sérieux mais déraisonnable, masculin mais poétique. Ou, plus simplement, «Raffiné et Agressif», comme le titre du premier épisode de The Gentlemen.
Sur Netflix, avec cette série inspirée de son propre film démoulé en 2019, Guy Ritchie décoiffe une aristocratie qui s'emmerde tellement qu'elle froisse ses vilains chandails dans le trafic de drogue. On y suit les errances cossues de la famille Horniman, qui cultive du cannabis aussi discrètement que ses petits secrets: sous le domaine de Halstead Manor. Seuls le jardinier et le patriarche sont au courant du juteux business. Si bien qu'au décès de papa Archibald, ses gamins découvriront d'un coup d'un seul la magouille à millions, le bunker à chanvre et la pègre à flingues.
Là où ça se complique, c'est que l'aîné, un flambeur impoli, ingérable et éternellement impubère, se verra piquer l'héritage par son plus jeune frère, très équilibré, très militaire, très beau. En devenant duc de Halstead, Eddie (coucou Theo James) va faire la connaissance de la mystérieuse associée de son père, mais aussi se salir les mains et tuer pour la première fois de sa vie.
Si Guy Ritchie n'a rien perdu de sa sournoise créativité quand il s'agit d'inventer des crapules patibulaires en survêt' Sergio Tacchini, c'est le frangin déchu qui va aimanter tous les regards. Freddy Horniman, inconsolable, comptait sur l'héritage de papa pour éponger sa dette pharaonique envers un gangster colérique et tordu. Et sa personnalité bariolée va contraindre son cadet, disposé à lui sauver les miches, à trouver huit millions de livres en une semaine. Une mission bien peu ordinaire. Surtout pour des gentlemen qui passent leur temps à boire des cup of tea et des gin-to entre deux séances de ball-trap.
Dans le premier épisode, le nouveau duc va donc découvrir l'identité (et l'esprit détraqué) du méchant créancier de son frère. Au début, ça se passera même plutôt bien: Peter Spencer-Forbes, surnommé «Pete le Poisseux» et incarné par le joueur de rugby australien Joshua McGuire, consent à réduire l'ardoise de moitié. A une seule (mais terrible) condition. Freddy, pour solde de tout compte, doit s'excuser et danser dans un costume de poulet. Le tout, immortalisé par l'infâme Sticky Pete.
Si le temps c'est de l'argent, qu'en est-il de la dignité? Le ridicule peut-il tuer? Ces deux questions vont hanter Freddy tout le long d'une scène d'une saveur proprement interminable. Sous les ordres hurlés, cruels et absurdes de son bourreau, et sous les yeux de son frère, l'aristocrate impertinent va violemment réaliser que l'humiliation fait parfois aussi mal qu'une balle entre les deux yeux.
Insupportables, sublimes, hilarantes et profondément tristes, ces cinq longues minutes racontent, avec une cinglante acuité, la cruauté sans queue ni tête des barons de la drogue et l'implacable déconnexion de la noblesse britannique. Et, du même coup, le talent si particulier de Guy Richie, qui aime pousser le bouchon jusqu'à torturer psychologiquement ses personnages sur des airs de musique classique.
Dans The Gentlemen, comme depuis vingt ans, l'ex-mari de Madonna nous offre des fantasmes qu'on n'avait jamais eu l'audace d'imaginer. Et, rien que pour ça, il est conseillé de déguster ces huit épisodes comme un fish and chips: avec les doigts et en s'en foutant partout.