Kate Winslet est une grande actrice, dont la carrière n'est plus à faire tant elle a su briller dans de nombreux rôles, que ce soit au cinéma en jouant pour James Cameron et Sam Mendes, ou sur le petit écran, comme dans la série Mare Of Easttown, produite par HBO.
Des rôles principalement dramatiques, dans des œuvres acclamées par la critique. Or, s'il y a bien un registre dans lequel on a rarement pu la voir, c'est celui de la comédie. Un registre qu'on aurait imaginé aux antipodes d'une série sur une dictature. C'était sans compter l'audace du réalisateur britannique Stephen Frears.
Ce cinéaste n'en est pas à son premier essai, celui-ci étant pourvu d'une filmographie longue comme le bras, avec des films célèbres tels que Les Liaisons dangereuses (1988), High Fidelity (2002) ou Philomena (2013). À la réalisation également, une femme, Jessica Hobbs, qui s'y connait en intrigue mêlant palais et pouvoir puisqu'elle a réalisé de nombreux épisodes de The Crown. L'ensemble est scénarisé et chapeauté par le showrunner Will Tracy, dont la plume a fait naître des épisodes de la série à succès Succession, ainsi que le film Le Menu (2022).
Kate Winslet incarne la chancelière Elena Vernham, une figure autocratique au sommet du pouvoir d'un petit pays d'Europe centrale. Un petit pays qui n'aurait rien à envier à la Biélorussie si celui-ci n'était pas au bord de la faillite. En effet, pourtant riche en cobalt et en exportation de betteraves sucrières, ce régime autoritaire semble, tout comme les murs de son palais présidentiel, commencer à s'effriter.
Elena Vernham est une sorte de Marine Le Pen ayant pris le pouvoir après son défunt père, une figure d'extrême droite à l'origine du régime. Celui-ci est embaumé à la manière d'un Lénine dans un cercueil de verre dont le mausolée fait office de confessionnal pour notre chancelière qui n'a personne d'autres à qui parler.
Complètement paranoïaque et hypocondriaque, celle-ci trouve en la personne du caporal Herbert Zubak (Matthias Schoenaerts) un confident, dont la relation sera notre porte d'entrée dans les coulisses de ce palais aux décors certes sublimes, mais gangrenés par les affres du pouvoir. Une chute que la présence du caporal va visiblement précipiter. Au casting également, Hugh Grant, qu'on a hâte de découvrir dans son rôle d'opposant politique.
Le premier épisode de The Regime donne le ton, et autant dire qu'il prend au dépourvu, tant le registre de la comédie satyrique peut s'avérer casse-gueule. La série opte pour un humour burlesque qui pourra soit irriter, soit plaire.
Passé la surprise des premières minutes, on prend un malin plaisir à suivre cet officier militaire tombé en disgrâce après un massacre de mineurs ayant tenté une rébellion. Le caporal Herbert Zubak (Matthias Schoenaerts), surnommé «Le Boucher», se retrouve chargé désormais de mesurer l'humidité du palais dans chaque pièce afin de s'assurer qu'il n'y a pas de moisissures, dernière lubie de la chancelière qui est persuadée de s'empoisonner à chaque respiration.
Une chancelière qui vit isolée et dont les seules interactions consistent à fréquenter son conseil des ministres dont elle n'a cure ainsi que son mari français, interprété avec talent par Guillaume Galienne dans un rôle de «première dame» sympathique et complice, mais dont l'hypocrisie ne connait pas la crise.
Cependant, si Elena Vernham a tout d'une autocrate, elle semble plutôt proche d'une aristocrate dans une prison dorée. Complètement déconnectée, mais visiblement aimant malgré tout son peuple, elle reste imbuvable avec ses sujets, et tout laisse penser qu'elle est prise dans un système de règles préétablies qu'elle peine à contester.
Ce qui fait le sel de cette série, c'est bien ce palais qui sert de décor, et ce pays imaginaire dont on ne connait jamais le nom. Toute l'esthétique dictatoriale est reprise et place Kate Winslet quelque part entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine. Les portraits sur chevaux ornent les pièces du palais, les relations avec les Etats-Unis, qui importent du cobalt, se dégradent, tandis que les excentricités folles de la chancelière ne sont pas sans rappeler celles du dictateur turkmène… Tout ici reprend à merveille les codes visuels et politiques propres aux régimes autocratiques.
The Regime offre une vision cynique et souvent pathétique de ce système de caste au socle fragile dès lors que le peuple se réveille. Les accents britanniques et les décors alpins ne font que renforcer l'immersion dans l'étrangeté de ce pays inexistant dont les panoramas évoquent la Suisse. Et pour cause: la série a été tournée en Autriche, au Palais Liechtenstein de Vienne.
Au centre, une Kate Winslet impériale de charisme lorsqu'elle s'adresse à ses sujets et qui brille en coulisse par sa sensibilité et sa naïveté. Un rôle à sa mesure, qui lui permet d'offrir une composition qui sort des sentiers battus, tout comme la série dans son ensemble, dont les six épisodes sont à découvrir chaque lundi.
«The Regime» est une minisérie de six épisodes à découvrir sur la plateforme MyCanal depuis le 4 mars 2023.