En mars, Credit Suisse s'est effondrée. Après une incroyable série de scandales et une crise bancaire aux Etats-Unis, les clients ont pris la fuite en masse. Le Conseil fédéral a «vendu» le CS à l'UBS dans l'urgence. Et voilà qu'une autre prestigieuse banque suisse fait à nouveau la Une des journaux.
La banque privée zurichoise Julius Bär a dû reconnaître, lundi dans un communiqué, qu'elle avait accordé des crédits à hauteur de 606 millions de francs «à différentes entités au sein d'un conglomérat européen». Le nom n'est pas mentionné, mais il s'agit de la Signa Holding du flamboyant «roi de l'immobilier» autrichien René Benko.
Son modèle commercial a été mis à mal par la hausse des taux d'intérêt. Benko a dû se retirer de la direction opérationnelle. Même la faillite de Signa n'est pas exclue. Le dernier espoir semble être le fonds spéculatif américain Elliott. Julius Bär a déjà amorti 70 millions de francs. Dans le pire des cas, une perte totale menace. Le groupe a déposé le bilan mercredi.
Dans un commentaire, la NZZ sort l'artillerie lourde: la noble banque privée est «tombée pendant des années dans le piège d'un alchimiste». René Benko aurait prétendu transformer le béton en or. «Il n'a fait qu'empiler beaucoup de capitaux étrangers dans une tour instable composée de sociétés, de sous-sociétés et de sous-sous-sociétés». La structure pourrait désormais s'effondrer.
Une parenthèse s'impose ici: la banque privée est décrite comme comparativement sûre et ennuyeuse. Pourtant, il ne se limite pas à la gestion de la fortune de clients très riches. Des crédits structurés leur sont également octroyés. Dans le jargon, ce secteur d'activité s'appelle «Private Debt».
«De tels crédits sont complexes», écrivent les journaux de Tamedia. Pour les banques, ces opérations sont rentables, car elles peuvent exiger un taux d'intérêt nettement plus élevé que pour les crédits hypothécaires ou les crédits aux entreprises classiques. Parallèlement, les risques augmentent, raison pour laquelle les garanties déposées sont décisives. Celles-ci sont menacées dans le cas de Signa.
Les crédits accordés à René Benko constituaient pourtant «le plus gros engagement individuel» dans la dette privée, comme Julius Bär a dû le reconnaître. Pour la NZZ, cela est étonnant, car la banque aurait dû reconnaître le risque:
Les signaux d'alarme n'ont pas manqué. Lorsque Benko a racheté les grands magasins Globus à Migros avec le groupe thaïlandais Central Group, il y a bientôt quatre ans, des voix critiques s'étaient déjà élevées. «L'histoire de l'acheteur de Globus est pavée d'opérations douteuses», écrivait le Tages-Anzeiger à propos du jeune homme qui a quitté l'école à Innsbruck.
On mentionne une condamnation pour tentative de corruption fin 2012 (il a été acquitté dans un autre procès début 2023) et la construction d'un chalet de luxe dans la station de ski de luxe de Lech am Arlberg en Autriche. Le nom de Benko apparaît également dans une mémorable vidéo d'Ibiza qui a fait tomber le chef du FPÖ de l'époque, Heinz-Christian Strache.
Pour rappel, en 2019, une vidéo tournée en caméra cachée sur l'île espagnole d'Ibiza à l'occasion de vacances de responsables autrichiens a révélé des pratiques potentiellement frauduleuses dans la classe politique.
Pourtant, le Tyrolien a reçu plus d'un demi-milliard de francs de Julius Bär. Selon la NZZ, la banque aurait dû se rendre compte à quel point René Benko était un client délicat. Et qu'un scandale pourrait se retourner contre elle. «Mais apparemment, Benko n'était pas seulement un client délicat, mais aussi un si bon client que la direction de la banque a fermé les deux yeux».
La banque privée promet maintenant de s'améliorer. Le patron de Bär, Philipp Rickenbacher, a déclaré dans le communiqué de lundi qu'il allait revoir les activités de private debt et le cadre dans lequel elles sont menées. La banque ne serait apparemment pas en danger même en cas de perte totale. Elle souligne au contraire sa «forte dotation en capital».
Les actionnaires ne semblent que partiellement convaincus. Depuis le début de l'année, l'action de Julius Baer a enregistré une baisse de 22%. Cela ne surprend guère. Le private banking suisse se base sur une gestion prudente de la réputation et du risque, commente la NZZ:
La comparaison avec le Credit Suisse est peut-être exagérée. Julius Baer a tiré les leçons des scandales précédents. Néanmoins, les crédits accordés à un personnage controversé comme René Benko laissent penser qu'une fois de plus, une banque suisse n'a pas su réfréner son appétit pour le risque. C'est pourquoi on peut se demander: n'apprendront-ils jamais?
Traduit et adapté par Noëline Flippe