La situation du groupe Signa de René Benko semble de plus en plus désespérée. Juste avant le week-end, la société Signa-Real-Estate-Management Germany a dû déposer une demande d'insolvabilité auprès du tribunal de Charlottenburg à Berlin. Alors que dans un premier temps, seules les sociétés commerciales du vaste empire du magnat autrichien avaient dû déposer le bilan, c'est désormais la première fois qu'une société immobilière subit le même sort.
Signa REM Germany fait partie du périmètre de consolidation de Signa Prime Selection, une holding dans laquelle Benko a regroupé tous ses intérêts immobiliers – dont les parts de Globus. La valeur brute des actifs de Signa Prime est estimée à 20,4 milliards d'euros sur le site Internet de l'entreprise. Entre-temps, les coactionnaires de Benko, et surtout ses créanciers, s'interrogent sur ces chiffres:
Selon un article de la NZZ am Sonntag, Benko pourrait avoir utilisé la méthode d'évaluation dite «par transformation» pour établir le bilan de l'immeuble Globus de la Bahnhofstrasse à Zurich. Cette méthode permet d'anticiper et de capitaliser en avance et à la hausse sur le succès de la transformation de l'enseigne en temple du luxe. Une surévaluation des revenus locatifs futurs permet de mobiliser davantage de crédits bancaires.
Le Sonntagsblick va dans le même sens, expliquant que la banque Julius Bär aurait également eu recours à des «véhicules de crédit exotiques» pour financer les investissements de Benko. Elle pourrait avoir mis en garantie des crédits sur les futurs revenus locatifs.
Julius Bär ne s'est encore jamais exprimée officiellement sur cette affaire. Mais cela n'empêche pas les investisseurs de nager en eaux très troubles. Le 20 novembre, Julius Bär s'est vue contrainte d'annoncer brusquement des corrections de valeur sur son propre portefeuille de crédits à hauteur de 82 millions de francs. Depuis cette date, tout le monde s'accorde à dire que ces corrections proviennent en grande partie d'une relation d'affaires avec René Benko et son groupe Signa.
La plus grande banque privée suisse a perdu près de 15%, soit près de deux milliards de francs, de sa valeur boursière depuis cette communication désastreuse sur des risques de pertes dans son portefeuille de crédits. Cette mauvaise nouvelle a coûté aux actionnaires de Julius Bär trois fois plus d'argent que ce que la banque peut perdre à cause de son gros client autrichien (600 millions de francs), selon les estimations et les suppositions les plus élevées à ce jour.
Dans le contexte des événements actuels, la réaction des investisseurs ne semble pas irrationnelle. Selon un ancien directeur de banque privée reconverti en conseiller, il est plausible que Julius Bär aurait pu se contenter d'actions Signa comme garantie de crédit. Quand bien même les actionnaires seraient les premiers à devoir faire la queue pour un dividende de faillite en cas de liquidation forcée.
Une faillite telle que celle de Benko devrait rester un cas isolé pour Julius Bär, estime l'expert du secteur. Ce banquier, qui souhaite rester anonyme, assure:
De nombreuses banques ont intensifié leurs activités de crédit. Julius Bär ne fait pas exception et a également augmenté son propre portefeuille de près d'un tiers entre fin 2014 et fin 2022, alors que les dépôts des clients n'ont augmenté que d'un peu plus d'un cinquième durant cette période. En termes absolus, les dépôts de clients dépassaient encore tout de même de cinq milliards de francs les crédits. Par moments, les fonds de la clientèle inscrits au bilan représentaient un cinquième ou plus de tous les actifs gérés par Julius Bär.
C'était beaucoup. En effet, l'activité de placement de fortune n'est lucrative que si les banques peuvent investir l'argent de leurs clients de manière à générer également des commissions. Cette pression était encore plus forte que d'habitude pendant le régime des taux d'intérêt négatifs. Les banques payaient encore partiellement de leur poche les intérêts sur les dépôts non investis de leurs clients. Le développement des opérations de crédit a pu y remédier quelque peu.
Toutefois, l'octroi de crédits immobiliers ou de crédits aux entreprises ne fait pas partie des activités principales des banques de gestion de fortune. Celles-ci se limitent en général aux crédits lombards – un prêt à taux fixe adossé à des investissements donnés en garantie – assurés par des titres. Or, depuis mi-2021, la demande de crédits lombards est en forte baisse. Dans un climat d'investissement morose, la clientèle asiatique aisée a moins envie de boursicoter sur la dette.
Que cet environnement ait motivé les banques de gestion de fortune à prendre de plus grands risques de crédit n'est certes qu'une hypothèse. Mais elle semble d'autant plus plausible que la marge de manœuvre réglementaire dans les affaires transnationales se réduit depuis des années pour Julius Bär et tous les gérants de fortune.
La transparence fiscale internationale, devenue une réalité après la crise financière, ne manque pas de produire ses effets, tout comme la multitude de sanctions internationales dans un monde plus conflictuel. La vive réaction des investisseurs aux mauvaises nouvelles de Julius Bär prouve que les banques ne peuvent pas décemment promettre des bénéfices plus élevés et une croissance accrue de manière durable. Dans un environnement de plus en plus complexe, elles doivent renoncer partiellement à leur innocence d'entreprises sûres et conservatrices.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker