Il y avait les UBS et les SBS, comme il y avait les SRD et le FC Laufon. Vous êtes largués? Normal, c’était avant. A Delémont. Au temps où il fallait encore changer la loco du Genève-Bâle ou de l’Hambourg-Port-Bou, on était fier. Comme on était fier des SRD, notre équipe de foot abonnée à la première ligue, cette troisième division indépassable. Le FC Laufon, redoutable adversaire, était ce «cloube» de la vallée de la Birse en aval de Delsberg, notre nom en allemand.
On ne peut pas dire qu’on était fier de l’UBS et de la SBS, mais on était attaché. On était de l’une ou de l’autre. Ou de la troisième, le Credit Suisse. L’Union de banques suisses ne s’appelait pas encore United Bank of Switzerland, et la SBS, la Société de banque suisse, non seulement existait, mais semblait immortelle comme les docteurs qui ne meurent jamais. Quand l’UBS absorba la SBS, les enfants dont le père avait le compte chez cette dernière n’aimèrent pas trop.
Le Credit Suisse avait un nom sonnant bizarrement en allemand, Schweizer Kreditanstalt. «Anstalt», on ne voyait pas ce que ça voulait dire. Le sigle avait trois lettres dans la langue majoritaire, SKA, une de plus que l'abréviation française, CS. On trouvait les deux marqués au front des bonnets de ski acryliques fabriqués près d’un million de fois par la banque. L'hiver, les gamins avaient bon chaud à la tête. Dans les années 70, on n’était pas offensé par cet embrigadement militaro-bancaire («banques=armée», dénonçait la gauche).
Tout ça pour dire que les banques, les trois grandes, c’était important. Elles avaient de beaux halls, éclairés mieux qu’à la Migros. Leurs enseignes respectives en grosses lettres 3D de couleur en imposaient. Dans les petites villes, ces bâtiments ornementés avaient rang de palais, hommage à nos sous.
Alors, quand la SBS a disparu, ça a tout de suite diminué le standing d'endroits où il n’y avait pas tant de jolies façades. Maintenant que c’est au tour du Credit Suisse, ça fait quand même un petit pincement au cœur. Les yeux embués de rage du socialiste Roger Nordmann, dimanche soir à la télé, racontaient cette époque pas si lointaine où les banques, même si c’étaient des repères de gros militaristes, ça comptait, dans ce pays.