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Pandora Papers, leurs conséquences et la Suisse: Interview de Myret Zaki

Pandora papers Myret Zaki
Image: Shutterstock / Montage watson
Interview

«Il y a actuellement 430 milliards de dollars qui échappent aux Etats»

Les «Pandora Papers» révèlent les comptes offshore détenus par des centaines de personnalités, dont une trentaine de chefs d'Etat. L'éditorialiste suisse Myret Zaki, spécialisée dans l'économie et la finance, nous livre son regard sur cette fuite, ses conséquences pour la Suisse et pour le grand public, ainsi que les questions qu'elle soulève.
05.10.2021, 06:2005.10.2021, 15:15
Jonas Follonier
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Le grand public ne semble pas s'intéresser à fond aux «Pandora Papers», une enquête pourtant menée pendant deux ans par 600 journalistes. Pourquoi?
Myret Zaki:
Il est vrai que l’intérêt du public n'est pas à son comble. Le tout a beau être saupoudré de noms de rois, de ministres, d’artistes, etc., il s’agit quand même de la cinquième opération de ce type. Les «Pandora Papers» arrivent après les «OffshoreLeaks», les «LuxLeaks», les «SwissLeaks» et les «Panama Papers». Il y a une impression de déjà-vu, forcément.

Vous-même appeliez de vos vœux, dans un édito datant de février 2015, un consortium de journalistes enquêtant sur l'opacité des sociétés offshore et des trusts. Nous y sommes.
Il y a effectivement un consortium, ce qui est une très bonne chose et ce qui n'avait jamais été fait avant tous ces «leaks». Mais nous avons affaire, pour la cinquième fois, au même modus operandi. Et je me pose pour la cinquième fois cette question: d'où viennent les informations? «Des infos basées sur des fuites», nous dit-on. Mais des fuites d'où, de qui? Les journalistes du consortium le savent-ils eux-mêmes? En tant que lectrice, je ne sais même pas s'ils le savent. Or, la chose suivante me préoccupe: certes, selon la déontologie journalistique, on protège ses sources. Mais s'il s'agit de gouvernements, c'est problématique:

«Un gouvernement pourrait influencer la presse mondiale en étant l'unique source d'informations»

Autant de moyens investis par des médias pour aboutir sur le fait que des riches planquent leur argent, n'est-ce pas une montagne qui accouche d'une souris?
Il ne faut surtout pas minimiser ce travail. Les journalistes ont traité une multitude de données qu'ils ont reçues. Décortiquer 11,9 millions de documents financiers, c'est un travail faramineux. Cela dit, ce n'est pas de l'investigation à proprement parler, mais du data-journalisme très bien fait. Rappelons que pour le cas de «Swissleaks», les informations avaient été dépêchées aux journalistes en mains propres à la rédaction du Monde et ces infos avaient été obtenues avec l'aide du gouvernement français.

Selon la cellule enquête du groupe Tamedia, «cette fuite concerne encore davantage la Suisse que les "Panama Papers". Sur quelque 20 000 sociétés offshore du grand cabinet panaméen Alcogal, plus d’un tiers était lié à des avocats, fiduciaires ou autres conseillers basés en Suisse». Comment ça se fait?
Les sociétés fiduciaires et les avocats fiscalistes basés en Suisse ont une maîtrise impeccable des trusts et des sociétés offshore de toutes les juridictions. Il existe des centaines de juridictions de droit anglo-américain, dont certaines respectent les conventions internationales et d'autres pas. Rappelons que la fin du secret bancaire en 2009 n'a eu aucun effet ou presque sur l'évasion fiscale mondiale. Les quatre opérations précédant les actuels «Pandora Papers» n'ont pas eu non plus de lourdes conséquences sur le blanchiment d'argent:

«Malgré le remplacement des transactions de billets par les transactions électroniques, la somme d'argent blanchi au niveau mondial reste extrêmement élevée, se chiffrant à plus de 1000 milliards de dollars. Cela veut dire quelque chose: des structures continuent d'offrir l'opacité qui permet cette situation»

Cinq ans après, on estime que les «Panama Papers» ont déjà permis de récupérer 1,3 milliard de recettes et ce n'est pas fini. Est-ce un bon rapport coûts-bénéfices?
D'après le rapport «The State of Tax Justice 2020: Tax Justice in the time of COVID-19» de Tax Justice Network (p. 4), il y a 430 milliards qui échappent aux Etats, dont la moitié est due aux entreprises et l'autre moitié à des particuliers. Toutes ces sommes sont de l'argent manqué pour le social, la classe moyenne. Imaginez ce que les gouvernements pourraient faire avec 430 milliards de dollars qui leur reviennent!

Une société offshore n'est pas illégale en soi. L'illégalité commence quand l'argent qui y est déposé ou investi n'est pas déclaré, ce qui ouvre la voie au blanchiment d'argent, à la corruption et à d'autres crimes. Peut-on estimer la part de ces personnes à ne pas respecter la loi?
A ma connaissance, il n'y a actuellement pas de moyen sérieux pour faire une telle estimation. En fait:

«Les sociétés offshore ne se divisent pas entre les sociétés honnêtes et les sociétés malhonnêtes. Il y a plusieurs nuances de gris de leur degré d'agressivité, entre optimisation, évasion, soustraction et fraude. L'intention peut même être qualifiée différemment selon la cour. C'est la magie du monde de la structuration des sociétés offshore: difficile de les détecter, puis de les invalider»

Les sociétés offshore n'ont-elles que des mauvais côtés?
Non, elles peuvent servir légalement dans des cas de divorce, de protection contre des créanciers, de succession patrimoniale, par exemple.

Un sentiment d'inéluctabilité s'invite face aux tricheurs: «Il y en aura toujours et ils trouveront toujours le moyen de jouer avec les lois». Etes-vous d'accord? Sinon, comment expliquer le surplace que vous avez décrit?
Cette situation qui ne change pas, ou trop peu, résulte entre autres du fait que les Etats puissants protègent la manne de leur industrie offshore. Les Américains, par exemple, n'ont jamais attaqué les banques de Floride, qui permettent aux Brésiliens et à d'autres d'échapper à l'impôt. La Suisse, elle, applique le formulaire A du blanchiment par rapport à ces questions. C'est au fond une question de rapports de force. Cette affaire est fondamentalement géopolitique. Il importe de ne pas s'arrêter à la version de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) selon laquelle tous les pays ont été mis au pas et l'évasion fiscale serait un problème sous contrôle ou en diminution. Ce n'est pas le cas. La moitié de l'opacité financière est le fait de pays de l'OCDE, selon le même rapport de Tax Justice Network (p. 54-55).

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