La forêt de Zillbach, 2400 hectares situés dans le land allemand de Thuringe appartient depuis peu à La Poste. Elle l'a acheté à (très) grand frais à un noble local. Le géant jaune suisse entend se diriger vers la neutralité climatique d'ici à 2040, notamment grâce à ce lopin de terre. Mais un autre problème vient de se glisser dans ce dossier qui colle comme la poix au leader de la livraison d'enveloppe: la parcelle de forêt est déjà prise en compte dans la comptabilité climatique de l'Allemagne. Oups, elle a couté 70 millions.
Il s'agit du «pire greenwashing» commis par l'entreprise suisse, a déclaré Sebastian Rüter, de l'Institut Thünen de Hambourg pour la recherche sur le bois, à l'hebdomadaire allemand Die Zeit. L'institut fournit à l'Office fédéral allemand de l'environnement des données pour l'inventaire national des gaz à effet de serre.
Les particularités du secteur forestier semblent être un terrain encore largement inconnu pour La Poste. L'entreprise préfère parler de «cercles de bilan différents». L'un concernerait l'Etat, l'autre une entreprise. Mais La Poste se montre sur la réserve: «Nous sommes tout à fait conscients que toutes les questions ne sont pas encore clarifiées».
Depuis le passage du Protocole de Kyoto (1997) au Protocole de Paris (2016), le problème du double comptage est non seulement connu, mais également interdit.
Conformément aux règles de la protection internationale du climat, la Suisse tient également un inventaire national des gaz à effet de serre. La performance climatique de la forêt suisse y est en principe prise en compte. Les propriétaires forestiers qui ont adhéré à l'Association suisse pour la protection de la forêt et du climat peuvent, toutefois, faire exclure leur parcelle de forêt, de sorte que celle-ci ne figure pas dans la comptabilité climatique de la Confédération.
Elles peuvent ainsi commercialiser elles-mêmes la prestation forêt-climat pour le refinancement de leurs dépenses et émettre des certificats. Mais une telle autorisation n'existe pas pour la forêt de Zillbach qui nous occupe. En tant que projet transfrontalier, un traité international serait également nécessaire, comme la Suisse l'a déjà conclu avec différents pays, mais pas... avec l'Allemagne.
La forêt allemande permettrait d'absorber 11,2 tonnes de CO2 par an et par hectare. On calcule ainsi une performance climatique d'environ 27 000 tonnes de CO2. Cela montre que la performance climatique de 9000 tonnes de carbone par an promise par La Poste ne se réfère pas à cette croissance des arbres prise en compte dans l'inventaire allemand des gaz à effet de serre, mais à un bénéfice climatique «supplémentaire».
Un tel bénéfice pourrait être obtenu, par exemple, si les troncs étaient utilisés pour du bois de construction ou si le carbone était transformé à long terme en charbon végétal. La Poste souligne également que la prestation climatique de la forêt de Thuringe ne doit pas être considérée comme une compensation de CO2, mais comme une neutralisation de CO2. De tels calculs sont, toutefois, très controversés. La Poste souligne que la méthodologie sera développée «étape par étape» au cours des prochaines années, en faisant également appel à des experts internationaux.
La Poste pourrait ainsi réfuter le reproche de «greenwashing» par une double comptabilisation, mais à l'inverse, le prix d'achat de 70 millions de francs ne constitue en aucun cas une contribution de La Poste au climat. Enfin, une forêt ne se soucie pas de savoir qui est inscrit au registre foncier comme son propriétaire.
Sur le plan économique lié au climat, la Poste manque actuellement d'arguments convaincants. Après tout, le prix à payer de 70 millions de francs semble élevé pour une réduction annuelle attendue de 9 000 tonnes de carbone.
La Fondation suisse pour la protection du climat et la compensation du CO2 paie actuellement entre 100 et 160 francs par tonne de CO2 réduite. Ainsi, la performance climatique attribuable à la forêt de Zillbach a une valeur annuelle comprise entre 0,9 et 1,4 million de francs. Pour les 70 millions de francs, la Poste pourrait donc acheter la même performance environnementale pendant 50 à 75 ans. Si la fortune de la Poste était simplement investie sur le marché financier avec un rendement de seulement 2% au cours de cette période, les coûts seraient couverts sans perte de capital.
Malgré la flambée actuelle des prix, la Poste aurait peut-être réalisé une bonne affaire, à long terme, si le changement climatique faisait monter le prix d'une tonne de CO2 compensée dans les prochaines années. Dans ce cas, le calcul serait tout à fait différent, et la Poste aurait au moins spéculé judicieusement.