C'est donc fait: La Poste suisse a acheté au prince Michael-Benedikt de Sachsen-Weimar-Eisenach une surface de 2400 hectares de forêt dans le Land allemand de Thuringe, au centre du pays. Les contrats ont déjà été signés.
L'ex-régie fédérale compte ainsi faire une bonne action pour son bilan écologique et compenser son bilan carbone. Elle explique que 9000 tonnes de dioxyde de carbone (CO2) pourraient être compensées chaque année grâce à cet engagement forestier. Le but? Devenir climatiquement neutre.
Mais cet achat soulève quelques questions, en Allemagne comme en Suisse. Le ministère de l'Agriculture de Thuringe a d'ailleurs donné son accord à la vente de la forêt à La Poste dans le cadre d'un examen préliminaire.
Mais selon le quotidien local Südthüringer Zeitung, il s'agit de vérifier si ce droit de préemption, en vigueur depuis une année, pourrait effectivement être acté. Dans l'article du journal, un politicien Vert local, Tim Kummer, demande expressément au gouvernement du Land de ne pas céder ces hectares de forêt.
D'autres détails croustillants viennent s'ajouter à l'affaire. On y apprend par exemple que le prix auquel La Poste a acheté le terrain est bien supérieur à sa valeur réelle. On comprend alors mieux pourquoi ce terrain était difficilement vendable. Selon un maire CDU (centre-droit) d'une commune proche, plusieurs environnantes avaient renoncé à acheter les terres au prince de Saxe-Weimar-Eisenach, car elles étaient trop chères.
Selon les informations de la Südthüringer Zeitung, La Poste aurait ainsi payé «bien plus de 40 millions d'euros» pour ce terrain (environ 38,5 millions). Problème: selon les estimations des autres terrains de même taille en Thuringe, le prix aurait plutôt dû se trouver autour de 10 millions d'euros (environ 9,6 millions de francs). Christian Levrat, président de La Poste, et ses acolytes se sont-ils faits arnaquer à hauteur de trente millions?
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. En effet, le prince de Sachsen-Weimar-Eisenach semble être un malin. Car La Poste n'est pas la seule à avoir acheté des bois à l'aristocrate pour compenser ses émissions carbones. D'autres entreprises ont succombé aux avances écologiques de celui-ci, ce qui a fait monter les prix.
Ainsi, selon la Schweiz am Wochenende, La Poste aurait déboursé pour pas loin de 60 millions d'euros (57,7 millions de francs suisses).
Contactée, La Poste n'a pas souhaité commenter et s'est contentée de confirmer qu'un accord avait été trouvé et a mandaté une expertise indépendante pour le calcul des prix.
L'histoire est encore plus cocasse si l'on compare le prix du terrain acheté en Allemagne aux prix suisses. A 60 millions d'euros le total, cela fait environ 25 000 euros (24 000 francs) par hectare de forêt... soit plus que le prix moyen des forêts suisses. Dans le canton de Zurich par exemple, l'hectare de forêt se vend en moyenne 21 000 francs.
Le prince a donc fait une sacrée affaire. Il a réussi à attirer La Poste dans son fief et lui faire payer un terrain six fois plus cher que sa valeur normale et même au-delà des prix helvétiques.
Le porte-parole de la poste, Benno Schmid, défend tout de même son pré carré. Selon lui, le problème n'est pas le prix, mais le fait de pouvoir trouver une surface à acheter assez grande. Selon lui, l'offre est trop limitée en Suisse et de telles surfaces achetables d'un coup sont simplement introuvables dans notre pays.
Le bilan écologique pourrait, toutefois, être amélioré en s'engageant en faveur des forêts suisses. Simon Tschendlik, directeur de l'association de protection des forêts Waldklimaschutz Schweiz, se dit très étonné par l'accord passé en Allemagne. Il évoque, par exemple, un projet présent dans le canton de Lucerne, où 6450 propriétaires de parcelles se proposent de compenser chaque année 48 000 tonnes de CO2 sur 26 000 hectares de forêt. Il explique que sa société propose ce genre de solution «prête à l'emploi».
Une différence d'importance subsiste, cependant: La Poste ne serait pas propriétaire de la forêt, mais devrait se contenter d'acheter des certificats. La Poste, de son côté, tient à faire une distinction technique: dans le cas de la forêt de Zillbach, elle ne compense pas les émissions de CO2, mais les «neutralise» — ce qui ne fait aucune différence pour l'environnement.
Ce qui irrite Simon Tschendlik, c'est surtout le fait que l'argent de La Poste ne soit pas investi dans la forêt suisse. La reforestation, qui est également nécessaire en Suisse pour obtenir une flore plus résistante au climat, nécessite des capitaux extrêmement importants. Il cite l'exemple de 3000 hectares de forêt dans le canton de Bâle-Campagne, pour lesquels il faudrait investir 20 à 30 millions de francs au cours des 100 prochaines années. Il estime que la Poste peut compenser environ 9000 tonnes de CO2 par an dans la forêt de Thuringe, mais il faudrait vérifier sur quelle période.
Avec 3,75 tonnes par hectare, la forêt de Zillbach atteint probablement une valeur plutôt élevée. Selon Simon Tschendlik, La Poste aurait pu faire plus simple. Même avec un investissement de 40 millions d'euros, l'association de protection des forêts aurait pu délivrer à la Poste, aux prix actuels, des certificats de compensation pour 9000 tonnes de CO2 par an pendant 40 à 50 ans. Mais cette proposition n'était, semble-t-il, pas assez princière.
(Traduit et adapté par Alexandre Cudré)